Étape majeure sur les chemins de Compostelle, la majestueuse abbatiale romane de Conques, au cœur de l'Aveyron, a donné aux animateurs du Centre européen d'art et de civilisation médiévale implanté en ce lieu l'idée d'y associer arts du passé et d'aujourd'hui, notamment la musique. Parmi les sept ensembles conviés cet été, Musicatreize proposait trois pièces nées en 2000, dont une création mondiale du compositeur basque espagnol Luis de Pablo. Avec Exil d'Edith Canat de Chizy, c'est un monde marbré, brûlant qui s'impose. Articulée sur des poèmes russes de Marina Tsvétaiéva chantant la condition de l'artiste, cette œuvre sans concession et intense associe six voix mixtes à six violoncelles, soit autant de voix « humaines » supplémentaires, ce que les membres de l'Octuor de violoncelles de Jacques Bernaert ont brillamment mis en valeur. Mais l'événement de l'édition 2000 du Festival de Conques a été la première création mondiale de son histoire, Carta cerrada de Pablo, pour douze voix mixtes a cappella. L'auteur a puisé dans un texte de Jean de la Croix. La pièce exalte une infinie variété de climats, Pablo traitant la voix dans sa diversité expressive, passant de la polyphonie la plus fleurie à l'homophonie la plus stricte avec un naturel confondant, le tout magnifié par les voix pleines et colorées de Musicatreize.

Avec ses dix-huit ans d'existence et ses mille sept cents œuvres de plus de cinq cents compositeurs présentées, Musica est le rendez-vous obligé de la création musicale. Placé en début de saison, accueillant les musiciens de toute obédience, ce festival attire compositeurs, interprètes, représentants des institutions, édiles politiques et un public toujours plus nombreux et passionné. Offert par l'Orchestre philharmonique de Radio France, le concert d'ouverture proposait deux œuvres de longue haleine composées par les deux figures centrales du Festival, le Français Pascal Dusapin et l'Allemand Wolfgang Rihm. Du premier, la Melancholia pour quatre voix solistes, chœur, cuivres, orchestre et bande (1991) se place entre deux genres, opéra et oratorio. Elle s'appuie sur des textes polyglottes puisés chez Homère et Shakespeare mais intelligibles dans les seuls passages enregistrés. Ce qui ne retire rien de l'indéniable théâtralité de ce monolithe de timbres d'une solennité quasi religieuse. Dithyrambe pour quatuor à cordes et orchestre de Rihm reflète la créativité généreuse de cet artiste libre, inventif. Cette œuvre est mue par un tonus inépuisable qui ne s'apaise qu'à la fin, et qui exige une constante virtuosité, particulièrement pour les archets, dont le mouvement sur les cordes est d'une étonnante vélocité. Le Quatuor Arditti sort peu à peu de l'orchestre dans un tempo d'une incroyable vivacité, lancé non dans une course à l'abîme mais porté par une pulsion de vie phénoménale.

Le même quatuor britannique a mené sans encombre un programme à la démesure de son leader, Irvine Arditti. Doué d'une musicalité et d'une technique jamais prises en défaut, le Quatuor Arditti exalte tout ce qu'il joue, ce qui permet de juger les œuvres sur leur seule valeur intrinsèque. Le Troisième Quatuor de Rihm (1976) trahit déjà un compositeur inspiré, libre de tout préjugé, écrivant une musique puissante et aux élans généreux. Rihm sait aussi être ludique, comme dans son Dixième Quatuor (1996), où il joue de l'air de la « Folie d'Espagne » célébré par Corelli, et d'une enfantine. Zeitfragment (1998) de Jarrell, au matériau dense, jaillit tel un coup d'éclat, alors que les cinq miniatures du Pentalogon Quartet (1987) de Fedele sont riches d'un humus que le compositeur développera dans ses pièces postérieures. En regard sont jouées les partitions de deux aînés, Sincronie (1963) de Berio, qui apparaît austère quoique porteuse des procédés utilisés par quantité de jeunes confrères, et la Souris sans sourire (1988) de Franco Donatoni, mort en août dernier, page ludique dans laquelle les violons campent les rongeurs, l'alto et le violoncelle les chats.