À Bagnolet, on a eu droit à une adaptation très belle d'un « Woyzzeck » rebaptisé Campagne dégagée et réalisé sous forme d'oratorio par Antoine Caubet pour deux acteurs seulement, un spectacle qui faisait pendant au Woyzzeck mis en langage des signes par Thierry Roisin au Théâtre de la Cité internationale à Paris, pour comédiens sourds et entendant. À Brest, le Quartz a accueilli en résidence Frédéric Fisbach, ancien de la « bande à Nordey », le temps de la création de Tokyo noces, regard du dramaturge Oriza Hirata sur l'Europe par le biais des tableaux d'une exposition au Japon. À Angers, Claude Yersin, directeur du Centre dramatique national, le nouveau théâtre d'Angers, a créé en France le Courage de ma mère du Hongrois Georg Tabori racontant le voyage d'une femme embarquée dans un convoi pour Auschwitz et renvoyée miraculeusement chez elle, à Budapest, en cours de trajet. À Rennes, au Théâtre national de Bretagne, puis à Bobigny à la MC 93, Jean-François Peyret a proposé la « suite et fin » de son cycle Histoire naturelle de l'esprit, alliant théâtre et philosophie.

Il faut citer, encore, à Paris, le Théâtre des Artistic-Athévains d'Anne-Marie Lazarini. S'emparant d'une œuvre a priori des plus boulevardières, l'Habit vert de Flers et Caillavet, cette dernière a réussi le tour de force de la métamorphoser en une œuvre féroce, dépassant de loin la simple remise en cause cocasse de l'Académie française pour peindre le tableau d'une société aveugle et contente d'elle-même à la veille de la boucherie de 1914, le temps d'une dernière danse sur un volcan...

Le retour du « privé »

La démarche d'Anne-Marie Lazarini est à l'exact opposé de celle d'un Gildas Bourdet « boulevardisant » Feydeau avec La main passe à Marseille. Pour être directeur d'un théâtre « subventionné », le Théâtre national de la Criée, celui-ci a pourtant rejoint depuis longtemps la ligne du théâtre commercial, au point de s'y installer régulièrement avec, notamment cette année, la création de Gérard Aubert, à Paris, au Théâtre-Hébertot. Son cas est exemplaire du renouveau du théâtre privé.

Ragaillardi par le succès, même relatif, des Molières dont il a fait sa machine de guerre, le « privé » a repris du poil de la bête. Non qu'il se soit mis à l'avant-garde. Ses valeurs sûres n'ont pas changé : classiques des années 30 et d'après-guerre avec Guitry et son Nouveau Testament mis en scène par Bernard Murat au Théâtre des Variétés, voire le Anouilh de l'Alouette au Trianon ou celui de Beckett ou l'honneur de Dieu au Théâtre de Paris avec Bernard Giraudeau et Didier Sandre. Sartre aussi a été mis à contribution avec un Huis clos très années 50 dominé par François Marthouret dirigé par Robert Hossein. Ce dernier inaugurait ainsi ses nouvelles fonctions de directeur artistique du théâtre Marigny, après ses grandes machineries théâtro-cinématographiques « grand public » comme l'Homme qui a dit non, hagiographie du général de Gaulle, ou la nouvelle version d'Un homme nommé Jésus.

Le tiercé gagnant des auteurs

Pour ce qui est des auteurs contemporains, le tiercé gagnant est resté le même que celui des années précédentes : Éric-Emmanuel Schmitt et son Hôtel des Mondes interprété par Rufus au théâtre Marigny ; Jean-Marie Besset et sa dernière pièce, Commentaire d'amour, qu'il a lui-même mise en scène au Théâtre Hébertot, une suite de séquences sur les rapports d'amitié trouble entre un homosexuel et une femme ; Yasmina Reza, auteur et interprète aux côtés de Catherine Frot, Richard Berry et Stéphane Freiss, au Théâtre-Antoine, d'une comédie légère reprenant sur trois modes différents une même soirée entre deux couples, Trois Versions de la vie...

De l'art de redorer son blason...

Parallèlement, le théâtre privé a réussi un véritable tour de force : redorer son blason en invitant de grands metteurs en scène du secteur « subventionné » à travailler dans ses murs. À commencer par Jacques Lassalle, qui, après avoir proposé un mémorable Galilée de Brecht au Théâtre national de la Colline avec Jacques Weber dans le rôle-titre, a pris possession du théâtre de l'Atelier pour y créer une pièce de l'Anglais David Hare, le Malin Plaisir, avec Sabine Haudepin et Elsa Zylberstein. Comédien formé auprès de Stuart Seide et de Patrice Chéreau, Wladimir Yordanoff s'est fait metteur en scène au Théâtre-Hébertot de sa propre pièce, Droit de retour, située dans l'ex-Allemagne de l'Est au lendemain de la réunification, avec des comédiens hors pair, Jean-Marc Bory, Anne Alvaro, Christiane Millet, Daniel Martin, Jean-Pierre Darroussin... À l'Atelier, Irina Brook, la fille de Peter Brook, a repris Résonances, une pièce new-yorkaise à succès sur les surprises de l'amour revues et corrigées par l'Américaine Katherine Burger...