Elle a également été intensifiée contre les États jugés dangereux, tels que la Corée du Nord. Mais en fait aucune de ces préoccupations n'est vraiment nouvelle. La réorientation ne parvient pas à combler le déficit provoqué par la disparition de l'Union soviétique et du pacte de Varsovie.

Au lendemain de la guerre froide, on voit se développer un courant de réflexion qui recherche les nouvelles menaces : les activités nucléaires illicites, le terrorisme, le trafic de drogue et le blanchiment d'argent. Or nombre de ces activités relèvent davantage d'une surveillance policière. Le « créneau » est déjà pris. Rien n'est à la dimension de l'effort immense justifié par l'Union soviétique, ennemi mortel doté de milliers d'armes nucléaires. La reconversion des personnels humains et des moyens techniques du renseignement devient donc en même temps qu'un thème à la mode une préoccupation financière.

Or l'administration Clinton, en mettant l'accent sur la compétition commerciale mondiale, semble montrer la voie. La « guerre économique » ne serait-elle pas la nouvelle forme de lutte, apparemment pacifique, entre les États ? La forte tension qui a marqué les négociations du GATT, accoucheuses de l'Organisation mondiale du commerce, a été l'occasion de soupçonner l'utilisation du renseignement d'État au service des négociateurs américains.

La notion très floue d'intelligence économique – parfois confondue avec la veille technologique, pratique traditionnelle – s'empare de quelques esprits en Europe. Les États-Unis recourent-ils à leurs moyens d'écoute pour mener une guerre d'un genre nouveau contre les intérêts des entreprises européennes et françaises ? Bien souvent ces approches relèvent d'une conception classique du protectionnisme, voire même d'une sorte de néocolbertisme qui considère que la puissance publique doit imposer la prospérité des entreprises nationales en utilisant tous les moyens dont elle dispose.

Plusieurs chercheurs indépendants, spécialistes des services de renseignement, relativisent ces critiques. Il leur semble qu'Echelon demeure un réseau d'activités tourné vers les préoccupations militaires et donc la « sécurité nationale », même si elle est entendue dans une acception plus large qu'auparavant. Il leur paraît que le renseignement économique porte davantage sur l'identification des tendances lourdes d'évolution des marchés mondiaux et la captation de gros appels d'offre, toutes données qui sont mises au service de l'orientation de la politique industrielle des gouvernements et non des intérêts immédiats d'entreprises privées. Dans ces limites, la coopération entre les sociétés privées et l'État qui soutient leur activité n'a plus rien de bien nouveau. Au début des années 1970, de semblables pratiques avaient été dénoncées par les Européens et les États-Unis. Mais il s'agissait cette fois du Japon. Le MITI (ministère du Commerce international) était accusé d'utiliser les moyens du renseignement économique pour favoriser les zaibatsus, sortes de cartels industriels et financiers. Toutefois, ceux-ci disposaient d'un secteur information qui s'avérait souvent bien plus performant que les moyens gouvernementaux. Le raisonnement s'arrête lorsque l'interpénétration entre un gouvernement faible et un secteur industriel puissant place le premier sous la dépendance du second.

À ce stade, les griefs avérés à l'encontre d'Echelon sont finalement limités. Deux cas peuvent être considérés comme réels : l'action contre Thomson au profit de Raytheon, dans un marché de radars à des fins civiles au Brésil ; celle menée au profit de Boeing contre Airbus par rapport à l'Arabie Saoudite. Dans l'affaire, la rumeur a même couru d'une intervention personnelle de Bill Clinton, dont nul service n'a jamais fourni la preuve.

En outre, les lignes de partage des intérêts sont loin d'être simplement tranchées. Il est difficile pour l'État de faire d'une seule société le bénéficiaire d'informations cruciales, alors qu'à l'échelle nationale d'autres entreprises peuvent prétendre en bénéficier. Les coopérations transnationales rendent également malaisées ce type d'intervention. Lorsque Thomson-CSF coopère avec Raytheon sur un programme commun de radar, une rivalité organisée en des termes aussi hostiles cesse d'être bénéfique. Pour éviter une action d'État qui, au regard de la loi nationale constituerait une fraude pénalisable – le délit d'initiés –, il faudrait envisager un système de location des services de renseignement, ce qui ne semble pas encore envisagé, même par les plus hardis.