Comme s'il voulait réparer les erreurs de quelques-uns de ses prédécesseurs, Jean-Paul II ne cessera d'effectuer des actes de repentir envers les juifs. Lors d'un colloque sur les « racines de l'antijudaïsme et le milieu chrétien », il proclame : « L'antisémitisme est sans justification aucune et absolument condamnable. » En 1973, recevant en audience sept rabbins, dont deux femmes, il leur déclare : « Le moment est venu de développer la volonté de dialogue entre juifs et chrétiens. » En 1981, sa visite à la synagogue de Rome est un événement. Solennellement accueilli par le Grand Rabbin, le pape confesse : « Je déplore les haines et les persécutions et toutes les manifestations d'antisémitisme qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les juifs. » Et comme s'il voulait être sûr qu'on le comprenne bien, il insiste : « Je répète : quels que soient les auteurs. » Étape décisive : en 1992, il reconnaît officiellement l'État d'Israël.

Le mea culpa à Jérusalem

Mais c'est à Jérusalem, en mars 2000, lors de son voyage en Terre sainte, en pleine année jubilaire, que Jean-Paul II accomplit le geste le plus spectaculaire. À Yad Vashem, le souverain pontife prononce les paroles que les juifs espéraient. « Il n'y a pas de mots assez forts pour déplorer la terrible tragédie de la Shoah, dit-il dans son discours au mémorial de la déportation. [...] Je suis venu à Yad Vashem pour rendre hommage aux millions de juifs qui, privés de tout, particulièrement de leur dignité humaine, furent assassinés durant l'Holocauste [...] En tant qu'Évêque de Rome et successeur de l'apôtre Pierre, j'assure au peuple juif que l'Église catholique, inspirée par la loi évangélique de la Vérité et de l'Amour et non par des considérations politiques, est profondément attristée par la haine, les actes de persécution et les manifestations d'antisémitisme des chrétiens contre les juifs, quels qu'en soient le moment et l'endroit. » Dans sa réponse, Ehoud Barak, Premier ministre d'Israël, la gorge nouée, rend à son hôte illustre un vibrant hommage : « Vous avez été, Votre Sainteté, un jeune témoin de la tragédie et vous aviez l'impression, d'une certaine manière, que vous subissiez, vous aussi, le sort des juifs polonais [...]. Vous avez fait plus que quiconque pour amener le changement historique dans l'attitude de l'Église vis-à-vis du peuple juif, initié par le bon pape Jean XXIII, et pour refermer les plaies béantes qui avaient suppuré durant de longs siècles pleins d'amertume [...] Notre souhait est de poursuivre un dialogue sur cette question afin d'œuvrer ensemble pour éliminer le fléau du racisme et de l'antisémitisme. » À cet instant, les yeux de Jean-Paul II se voilent de larmes, tandis qu'un rabbin psalmodie la prière de miséricorde que l'on chante pour les morts. Ces larmes du pape à Yad Vashem signaient la reconnaissance du martyre d'un peuple par une Église sincèrement repentante du passé. Plus tard, le souverain pontife se rend au mur du Second Temple que seuls les chrétiens appellent « Mur des lamentations ». Il reste un moment en méditation, la main gauche appuyée sur le mur avant de glisser entre les pierres ocres le message qu'il vient de lire, invoquant le pardon de Dieu. Scène irréelle au lieu le plus sacré du judaïsme. Un moment d'une grave intensité qui devait aller droit au cœur de tout le peuple d'Israël et étonner le monde entier.

Deux ans plus tôt, le 20 septembre 1997, les évêques de France avaient, en quelque sorte, précédé cette repentance du pape, non à Jérusalem mais à Drancy, dans la banlieue parisienne, où les déportés étaient en transit avant de partir pour les camps. Devant un parterre de rabbins, le cardinal Lustiger et Mgr de Berranger, évêque de Saint-Denis, sur le territoire duquel se trouve Drancy, demandaient pardon pour le silence de l'Église de France face à la publication du statut des juifs par le régime de Vichy. Cette démarche devait susciter de fortes réticences chez les catholiques français et aussi des réserves chez certains évêques. Mgr de Berranger devait recevoir des centaines de lettres critiques accusant cette démarche d'autoflagellation, et de juger avec les yeux d'aujourd'hui la génération précédente. Certains lui rappelaient qu'à cette époque, des évêques tels que Saliège, Théas, Moussaron, Gerlier, ainsi que des militants de l'Action catholique, n'avaient pas manqué de protester contre les déportations de juifs. « Une génération de catholiques s'est sentie atteinte. Elle n'a pas vu que nous visions l'anti-judaïsme multiséculaire qui a fait le lit de l'antisémitisme », se justifiera le prélat. À la différence du geste des évêques français, le mea culpa du pape à Jérusalem revêtait une dimension universelle. Car c'est pour toutes les déchirures qui ont laissé tant de douloureuses cicatrices entre juifs et chrétiens que le chef de l'Église demandait pardon au plus haut lieu de la mémoire juive. « Il a touché le Mur et le Mur l'a touché. »