De plus, les terres arables se raréfient alors que la population croît. La nappe phréatique des régions côtières israélienne, syrienne, égyptienne et libyenne est surexploitée. L'eau des puits risque de devenir plus salée. Des années de sécheresse et le tarissement du Tigre affectent les projets de développement du président Hafez el-Assad sur les questions de l'eau en Syrie. Le tout s'aggrave avec une population qui affiche une croissance de 50 %. Malheureusement, la construction des barrages se fait au détriment des droits et des besoins des pays voisins et de la qualité de l'eau. Le surdéveloppement est donc une autre source de conflit : quand le président Hafez el-Assad envisage de construire un barrage pour détourner les eaux du Tigre, l'Irak ne peut plus compter sur la construction d'une centrale hydroélectrique sur un Tigre dont le débit serait trop affaibli.

Quant à Israël, il est pour l'instant impuissant devant la disparition de la mer Morte et l'épuisement des ressources souterraines. La perte de cette mer signifie la fin de l'exploitation minière de la potasse tant par les Israéliens que par les Jordaniens. Pour réalimenter la mer Morte, il faudrait la relier à la Méditerranée. Le meilleur tracé traverse la bande de Gaza, mais Israël se mettrait à dos les Palestiniens, les Égyptiens et les Jordaniens, stoppant ainsi le processus de paix. Pourtant, Israël, comme ses voisins, doit faire face à une démographie plus importante avec l'immigration massive des populations juives venues des pays de l'Est. Malgré toutes les ingéniosités développées pour recycler les eaux usées tant pour l'agronomie que pour l'industrie, Israël doit acheter l'eau à ses voisins. La Turquie est le meilleur fournisseur d'eau, car plus proche géographiquement. Pour l'instant, les citernes dites de type Méduse transportent « discrètement » l'eau potable par voie maritime jusqu'au port d'Haïfa. Une autre source d'approvisionnement à venir est celle du Nil. En effet, le fleuve naît en Éthiopie, traverse le Soudan et finit en Égypte. Quand l'Éthiopie donne son feu vert au départ de milliers de Juifs éthiopiens (Falachas) vers l'État hébreux en 1998, les deux pays se rapprochent alors. Israël est prêt à s'allier à un projet de barrage sur les hauts plateaux éthiopiens. Jusqu'à présent, un accord datant de 1959 faisait l'impasse sur l'Éthiopie, qui fournit pourtant plus de 80 % des eaux partagées entre l'Égypte et le Soudan. Aujourd'hui, l'Égypte de Hosni Moubarak se rend compte qu'elle doit s'allier à l'Éthiopie pour satisfaire deux de ses projets, le canal de la Paix, arrosant le nord du Sinaï, et le canal Tochka, pour créer un nouveau delta du Nil dans le désert.

Bien qu'affecté par de nombreuses guerres, l'Irak est déjà peuplé de plus de 23 millions d'habitants en l'an 2000. Pour conforter son autonomie alimentaire, ce pays a construit sept barrages, dont un seul sur l'Euphrate, car celui-ci est déjà suréquipé par trois ouvrages (un en Turquie et deux en Syrie). En revanche, Saddam Hussein en fait construire six sur le Tigre et ses affluents, car rien d'important n'a encore été édifié en Turquie. Cependant, ce fleuve, qui prend naissance en Turquie et traverse la province dissidente du Kurdistan, peut devenir à tout moment un explosif en fonction de la politique turque. En se réunissant, les eaux du Tigre et de l'Euphrate forment un marécage dans la région de Chatt al-Arab, qui forme la frontière entre l'Irak et l'Iran au fond du Golfe. L'Irak voudrait bien assécher cette région, mais l'Iran, hanté par les mauvais souvenirs des combats sanglants avec ce voisin, préfère garder cette zone comme tampon de protection.

On comprend donc que chaque intervention nationale du développement de l'eau puisse avoir une répercussion hors des frontières. On s'aperçoit bien également que les profonds contentieux politiques ne permettent pas de fonder les partenariats indispensables à l'édification d'une économie régionale.

La soif du Moyen-Orient

Manquer d'eau, pour une nation, c'est rester en marge du développement et du progrès industriels. Les régions du Proche- et du Moyen-Orient sont déjà confrontées à une pénurie chronique. Bon nombre d'entre elles présentent un index des ressources renouvelables annuelles disponibles par habitant pour les usages domestique, industriel et agricole qui se situe bien au-dessous du seuil absolu de pénurie, c'est-à-dire 500 m3/hab./an. Et elles risquent d'atteindre d'ici 2050 le niveau minimal de survie de 100 m3/hab./an. La quasi-totalité des ressources renouvelables, comme les rivières, les lacs ou les eaux souterraines, a déjà été exploitée ou est en passe de l'être totalement. Le taux de mobilisation des ressources renouvelables est déjà de 86 % en Israël et de 97 % en Égypte, ce qui indique un fort risque potentiel de déficit à venir. Pour couvrir une grande partie de leurs besoins en eau, ces pays font appel au dessalement de l'eau de mer ou au recyclage des eaux usées. Cette dernière technique, inscrite dans la politique nationale, permet aux Israéliens de consommer un volume d'eau trois fois supérieur à la ressource naturelle. Et, pourtant, cela reste insuffisant.

Eau, cœur d'une région en mal d'unité

Les données géographiques et historiques démontrent pourtant qu'il est objectivement nécessaire de mettre en place une politique régionale de l'eau qui permette de dépasser les particularismes nationaux. Aussi, l'idée de se doter de pipelines internationaux pour transporter l'eau de pays en pays fait son chemin : elle est lancée dès 1987, au Center for Strategic and International Studies de Washington, où la Turquie propose la construction d'un « aqueduc de la paix ». Cependant, ce projet est regardé avec suspicion par les voisins de la Turquie qui lui font pourtant les yeux doux tant sa position géographique vis-à-vis de l'eau est stratégique. Un autre grand projet régional hydroélectrique, lancé en 1999, doit raccorder tous les pays du Proche-Orient. Mais la politique de B. Netanyahou, au pouvoir en Israël, a pour effet de ramener à la dimension nationale des perspectives économiques qui devaient être régionales.