On savait enfin que seul un examen microscopique des tissus de l'encéphale autorise le diagnostic après la mort de l'animal et que les lésions observées et la présence au microscope électronique de certaines structures pathologiques, ou scrapie-associated fibrils, laissaient penser que la BSE pouvait être l'équivalent bovin d'une autre affection, connue sous le nom de « tremblante du mouton » et qui sévit depuis très longtemps chez les ovins, et que chez l'homme ce type d'affection était dénommé « maladie de Creutzfeldt-Jakob », pathologie neurodégénérative très rare survenant vers la cinquantaine, caractérisée par l'association de troubles psychiques (démence) et de troubles moteurs (mouvements anormaux, rigidité), évoluant en quelques mois vers la mort.

Alerte dans les cantines scolaires

« Une question, essentielle, porte sur le caractère transmissible ou non de la BSE à l'homme. Y a-t-il, en d'autres termes, un risque de zoonose ? Estimant qu'une telle transmission est possible et que sa mise en évidence est d'autant plus difficile que la période d'incubation de la maladie pourrait être de plusieurs années, certains responsables britanniques viennent de prendre des mesures pour réduire ou pour interdire toute consommation de viande de bœuf et de produits dérivés dans les écoles, écrivions-nous encore. À partir du même postulat, les autorités soviétiques viennent de refuser l'importation de 750 kg de viande de bœuf destinés aux manifestations culturelles et commerciales soviéto-britanniques prévues le mois prochain à Kiev. Ces mesures préventives n'ont rien d'excessif, certains spécialistes vétérinaires et médecins virologistes trouvant même qu'on aurait dû les prendre beaucoup plus tôt. L'émotion est d'autant plus vive en Grande-Bretagne que la BSE pourrait ces derniers jours avoir été transmise à des chats domestiques à partir de la consommation de viande de bœuf contaminée. »

L'histoire, ici, fait-elle autre chose que repasser les plats ? C'est en effet la décision de nombreux élus locaux de retirer la viande de bœuf du menu des cantines scolaires qui durant l'automne 2000, en France, le plus contribué à l'installation de la crise. On savait aussi, en 1990, que les autorités britanniques n'avaient pas été sans prendre des mesures. Depuis le 1er juin 1988, tous les animaux atteints étaient soumis à déclaration obligatoire, et, depuis le mois de juillet 1988, l'abattage de ces animaux était obligatoire ainsi que la destruction des cadavres, l'État indemnisant les éleveurs concernés. Il était aussi interdit, depuis le 18 juillet 1988, d'utiliser en Grande-Bretagne des farines animales dites « de viandes et d'os » provenant des ruminants pour l'alimentation d'autres ruminants. Depuis novembre 1989, il était d'autre part interdit en Grande-Bretagne d'utiliser les cervelles, les moelles épinières, les thymus, les estomacs, les boyaux et les rates de bovins de plus de six mois pour toute alimentation humaine, ces abats devant être dénaturés puis détruits. De la même manière, des recommandations sur l'utilisation de ces produits en pharmacie ont été données. « Aucune disposition particulière n'a été prise par les autorités du Royaume-Uni concernant les exportations de farines et d'os, malgré les protestations de nombreuses personnalités britanniques, conscientes du risque que fait courir, pour les pays étrangers, l'introduction chez eux de produits éventuellement contaminés » expliquait-on en mai 1990 au ministère français de l'Agriculture. Quel dommage que l'on n'ait pas, dès cette époque, pris la mesure du phénomène et du risque sanitaire !

L'interdiction d'importer des abats

Le regret est d'autant plus grand que plusieurs spécialistes expliquaient alors que les décisions d'ordre sanitaire n'avaient pas été prises assez tôt et qu'il y avait, pour user d'un euphémisme, quelque chose de difficilement compréhensible de la part des responsables britanniques qui acceptaient les exportations de farines de viandes et d'os potentiellement contaminées qu'ils interdisaient sur leur territoire. Une relecture critique permettait dès lors d'observer que les pays de la CEE (on ne parlait pas encore de l'Union européenne) n'avaient pas agi avec une particulière célérité puisqu'il avait fallu attendre juillet 1989 pour que la CEE obtienne que le Royaume-Uni s'abstienne d'expédier vers d'autres États membres des bovins vivants de plus de six mois ainsi que des bovins nés de femelles pour lesquelles l'ESB était suspectée ou avait été confirmée. En France, aucun cas de vache folle n'était encore signalé mais plusieurs spécialistes estimaient que les premiers cas apparaîtraient dans l'Hexagone avant 1992. Ils ne se trompaient pas d'autant que les importations de farines britanniques de viandes et d'os étaient interdites... « sauf dérogation particulière », et qu'il avait fallu la découverte d'un trafic potentiellement dangereux pour qu'on interdise en février 1990 l'importation d'abats (têtes entières, thymus, amygdales, moelle épinière, cervelles, rates et intestins) en provenance du Royaume-Uni.