Les paysans sans terre en savent quelque chose, eux qui ont longtemps servi de cibles à des escadrons de la mort. Dans les années qui ont précédé la création de leur mouvement, le Mouvement des sans terre, les pistoleros à la solde de grands propriétaires terriens se sont rendu responsables de plusieurs centaines de meurtres de paysans, de syndicalistes et d'avocats. De 1982 à 1984, pas moins de 236 travailleurs de la terre sont tombés sous leurs balles. Pour la seule année 1985, le nombre des meurtres de paysans s'est élevé à 261. Dans 90 % des cas, aucune enquête n'a été ouverte. Pour faire face à cette situation, des cabinets d'avocats ont été mobilisés et une Commission pastorale de la terre, soutenue par l'Église, a été mise en place.

Loin d'être un élément nouveau des conflits opposant grands propriétaires et paysans dépourvus de terre, cette violence est un héritage direct de la colonisation. En lutte depuis l'avènement de la république au milieu des années 1980, le MST réclame une réforme agraire qui aboutirait à redistribuer à plusieurs centaines de milliers de travailleurs ruraux soit des terres qui leur ont été confisquées, soit des terres inexploitées par les latifundios.

Cette réforme agraire devait être mise en place par le nouveau régime, sous le président José Sarney. Au lendemain de la chute de la dictature militaire, elle apparaissait comme l'une des conditions du renforcement de la démocratie au Brésil. Un projet gouvernemental soutenu par l'Église, élaboré en 1985-1986, prévoyait de redistribuer progressivement 41 % des terres des grands propriétaires, à partir des années 1990, afin de donner du travail aux sept millions de paysans sans terre.

Ambitieux, ce projet républicain comptait libérer, en l'an 2000, 121 millions d'hectares provenant pour l'essentiel de terres en friche des latifundia. Face à ce projet, les grands propriétaires, pris de panique, se sont alors armés militairement et ont orchestré de grandes campagnes de presse contre le « collectivisme », parvenant à entraîner dans leur sillage un grand nombre de moyens propriétaires.

La radicalisation du MST s'est opérée après la réélection du président Cardoso, en 1998, avec des occupations sauvages de terres inutilisées. Une marche de cent mille « sans-terre » sur Brasília avait sensibilisé une partie de l'opinion brésilienne en leur faveur en 1999. Comme les Indiens, les paysans sans terre ont voulu manifester leur refus de commémorer « les 500 ans de génocide et d'esclavage ». À l'initiative de leur mouvement, une campagne d'occupations sauvages de cinq cents fermes a été déclenchée dans tout le pays, à l'instar de l'opération initiée par des anciens combattants du Zimbabwe. Ces occupations dureront au-delà des cérémonies commémoratives.

Au cabinet de la présidence de la République, le général Alberto Cardoso a fait savoir que cette radicalisation accompagnée d'occupations illégitimes de terres faisait courir un grave péril à la société brésilienne. Tandis que 4 000 paysans sans terre étaient parvenus, malgré les barrages de police, à se rassembler à 60 km de Porto Seguro, le ministre de la Réforme agraire, Raul Jungmann, persistait dans son refus de recevoir une délégation du MST.

À la veille des festivités du 500e anniversaire, un des porte-parole du MST, Gilberto Portès, pourra dire à la presse : « Tout ce qui arrivera le samedi 22 avril sera de la faute de ce ministre incompétent. Puisqu'il ne veut pas nous recevoir, notre seule alternative est de parler avec son chef. »

C'est justement ce que le président Cardoso cherche à tout prix à éviter depuis sa réélection. Aussi est-il revenu sur sa décision de séjourner quarante-huit heures à Porto Seguro, devenue à cause des menaces indienne et paysanne une forteresse en état de siège où le déplacement des habitants était soumis à un véritable couvre-feu. Il a fallu toute la persuasion du maire pour obtenir des autorités de l'État de Bahia que les milliers de touristes venus des quatre coins du Brésil aient le droit de se déplacer librement en ville.