Pour mettre un terme à ce commerce de contrebande pratiqué par les Normands, les Portugais entreprendront, trois décennies plus tard, la colonisation en profondeur du Brésil, au mépris des droits naturels des populations indiennes qui y vivaient depuis plusieurs millénaires. Ils y introduiront la canne à sucre, la religion catholique, l'esclavage et les maladies contre lesquelles les quatre millions d'Indiens, répartis à cette époque entre 900 tribus, n'étaient pas immunisés.

Les commémorations du 500e anniversaire

Le 22 avril 2000, l'« invention » du Brésil par les Portugais a donc eu cinq cents ans. Les autorités brésiliennes avaient prévu de commémorer avec faste l'événement de la « découverte » à Porto Seguro, petite ville portuaire de l'État de Bahia, dans le nord-est du pays, située à proximité de l'emplacement où le célèbre navigateur portugais a posé le pied sur le sol brésilien. En fier héritier de la colonisation lusitanienne, le gouvernement du président Fernando Henrique Cardoso a voulu grossir l'événement et imiter les manifestations commémoratives de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb. Celles-ci s'étaient déroulées en 1992 dans plusieurs États américains hispanophones et en Espagne, notamment à Séville où la commémoration avait servi de fondement à l'organisation de l'Exposition universelle.

Le Comité du 500e anniversaire créé pour la circonstance par le ministre du Tourisme, Raphael Grecca, s'était fixé pour objectif de promouvoir, à travers ces festivités, une image dynamique de la dixième puissance économique du monde en valorisant le caractère métis de la société brésilienne. Pour donner plus d'éclat à cet anniversaire, le gouvernement avait envisagé de siéger symboliquement à Porto Seguro, promue ce samedi-là capitale du Brésil, et le président Cardoso avait décidé d'y séjourner quarante-huit heures.

Gérées par le ministère du Tourisme à coups d'annonces fracassantes, les commémorations se sont, au fil des semaines, réduites comme une peau de chagrin. Si des horloges géantes affichant la date de la célébration de la découverte du Brésil et égrenant leur compte à rebours ont bien été dressées dans les grandes villes du pays, il faut reconnaître que le programme des festivités n'a pas vraiment répondu à ce que les partisans de la commémoration en avaient espéré.

Ce programme s'est réduit à l'organisation d'une belle régate au cours de laquelle des centaines de bateaux partis des quais de Lisbonne ont rallier ceux de Porto Seguro, de compétitions sportives et d'un spectacle son et lumière retraçant l'histoire de la découverte et s'achevant par un feu d'artifice monstre. Le président du Portugal, Jorge Sampaio, arrivé par bateau, était le seul chef d'État étranger invité.

De son côté, la municipalité de Porto Seguro, solidement unie derrière son maire, Ubaldino Junior, et consciente du profit qu'elle pourrait tirer de cette célébration, s'est efforcée d'ériger à la va-vite un musée de l'Indien et de faire construire un village modèle indigène et un centre artisanal pataxo. Par ailleurs, financée par l'État, une croix en acier inoxydable de 12 m de haut a été élevée à la gloire de Cabral sur le littoral où le navigateur a posé le pied il y a cinq siècles. Pour les édiles locaux, il s'agissait surtout de mieux faire connaître leurs plages et de vendre leurs infrastructures balnéaires. À cet égard, la campagne de promotion aura été efficace à Rio de Janeiro et à São Paulo d'où sont partis des charters remplis de touristes attirés par les fêtes devant marquer le demi-millénaire du Brésil à Porto Seguro.

Pour préparer les esprits à s'associer à l'événement, la chaîne TV Globo n'a pas lésiné sur les moyens. C'est elle qui a patronné la commémoration de bout en bout, lui assurant une grande publicité et la pourvoyant en sponsors avant d'en couvrir toutes les manifestations. Dans une certaine mesure, c'est ce matraquage médiatique qui a réveillé l'esprit critique d'une fraction de l'opinion publique et a profité aux mouvements contestant la légitimité de ces festivités. La chaîne TV Globo a toutefois atteint ses objectifs avec la réalisation d'une super telenova intitulée « la Muraille », un feuilleton télévisé qui retrace sur le mode épique les premiers pas de la colonisation portugaise et la naissance de la plus grande nation métisse du monde. Sa diffusion sur les petits écrans a remporté un immense succès, tant au Brésil qu'au Portugal.

Indiens et paysans sans terre troublent la fête

Loin de recueillir l'adhésion de toutes les couches de la population, ce 500e anniversaire du Brésil a suscité une très vive contestation chez les Indiens, les paysans sans terre et un certain nombre d'organisations appartenant à la gauche brésilienne unifiées au sein d'un « Comité Brésil, autres 500 ans ». Les festivités officielles ont ainsi bien involontairement souligner la fracture de la société brésilienne. Elles se sont déroulées sous une haute surveillance policière, l'État de Bahia mobilisant pour la circonstance quelque 8 000 policiers et l'armée de terre consignant dans ses casernes 1 500 soldats en état d'alerte.