La vie et rien d'autre

Chirac serait-il le héros permanent d'un de ces romans d'aventures éternellement recommencés et obéissant, année après année, au même et invariable schéma ? Depuis 1997 les aventures du président de la République paraissent obéir à un rite immuable : tout commence bien. Le héros paraît heureux, solidement installé au pouvoir, entouré de sa famille et de ses amis. Nos concitoyens l'apprécient pour sa bonhomie, sa simplicité, sa proximité, cette façon si française précisément d'être excessif dans les mots et modéré dans les actes.

Puis, soudain, patatras : survient une échéance électorale, improvisée en 1997, attendue les deux années suivantes, dont les droites françaises ne sortent pas seulement battues, le plus souvent d'une courte tête, mais disloquées. Tout alors semble échapper au chef d'État. Sous l'œil impavide, quoique légèrement exorbité, du Premier ministre, chef unique d'une gauche plurielle, la droite entre en convulsions, le président, déconcerté, ballotté, contesté, paraît régner sur des décombres qu'il ne gouverne plus : après le pays, c'est son propre camp qui semble lui échapper. Sérieusement mis à mal, le héros ploie mais ne rompt pas et la fin de l'année lui apporte un peu plus qu'un sursis et un peu moins qu'une victoire. Les convulsions de la droite prenant une allure brownienne et ne débouchant sur rien cessent par là-même de le menacer tandis que les invariants du système politique se remettent à fonctionner : légitimité du chef de l'État comme leader naturel de la droite, rôle central du RPR dans le système de l'opposition, révérence obligée de tous les responsables du parti envers le président fondateur.

Une droite condamnée à être plurielle

Du coup, l'année s'achève comme elle avait commencé, dans le calme retrouvé d'un pouvoir qui pour être affaissé n'en sort pas moins globalement intact. En somme, la vie et rien d'autre... La trêve des confiseurs de l'année passée avait trouvé Jacques Chirac rassuré par un double phénomène : l'effondrement structurel de l'extrême droite, autodétruite par la guerre sans merci que se livrent Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret, la réunification escomptée de l'opposition sous la houlette de Philippe Séguin dans la perspective des élections européennes. Une extrême droite brisée, une opposition unie, un Séguin assagi, voilà qui semblait prometteur.

Dès les premiers jours de l'année 1999, ce bel ordonnancement vole en éclat : Charles Pasqua fait dissidence, non point seulement par rapport au RPR mais, plus audacieusement, par rapport à la majorité présidentielle. Il annonce sa candidature aux élections européennes, et bientôt rejoint par Philippe de Villiers, engage une campagne vigoureuse qui le conduira le 13 juin à faire pratiquement jeu égal avec le RPR et à lancer, dans la foulée, une nouvelle formation politique, le Rassemblement pour la France.

L'initiative du président du conseil général des Hauts-de-Seine provoque une série de ruptures en chaîne. François Bayrou invite le 7 février à Bordeaux son parti à soutenir la liste résolument européenne qu'il s'apprête à conduire. La décision du président de l'UDF n'a pas été facile : celui-ci redoute la marginalisation électorale de sa famille. L'épisode de l'élection à la présidence du Conseil général de Rhône-Alpes, le 9 janvier 1999, dissipe toutefois ses dernières inquiétudes : alors que le RPR et DL paraissent incapables de s'en tenir clairement à la ligne de non-compromission avec le Front national, l'UDF porte à la victoire, avec le soutien actif du parti socialiste, une proche collaboratrice de Raymond Barre, Anne-Marie Comparini. La rupture avec le RPR est consommée : M. Bayrou conduira sa liste aux européennes et celle-ci obtiendra, avec 9,3 %, un score considéré par ses promoteurs comme très honorable.

La double candidature Pasqua-Bayrou et les ambiguïtés de l'Élysée, soucieux de ne pas lier le sort du président de la République à celui de la seule liste RPR, entraînent l'explosion en vol du poste de pilotage du RPR : le 16 avril, Philippe Séguin renonce simultanément à conduire la tête de liste de son parti aux européennes et à la Présidence de celui-ci. Nicolas Sarkozy prend la relève et, avec le concours d'Alain Madelin, président de Démocratie Libérale, et le soutien désormais appuyé de l'Élysée, entreprend une campagne vigoureuse sur le thème de la rupture libérale avec l'ordre socialiste. Le succès n'est pas au rendez-vous. Avec un score de 12,8 %, le mouvement gaulliste réalise, malgré la présence de son allié libéral, son plus mauvais score électoral depuis 1956 ! L'opposition sort de l'épreuve brisée en trois tronçons. Le parti du président apparaît structurellement minoritaire dans son camp et, plus essentiellement peut-être, le mythe de la révolution libérale ayant fait long feu, l'opposition se retrouve idéologiquement orpheline.