En forme, Ungaro lâchait des beautés sauvages et chics sous la coupole du palais Brongniart, portant vestes souples et abondamment brodées, cabans imprimés, pantalons diaphanes et châles chatoyants de tons précieux, or, bleu, parme, cuivre, carmin et ivoire. Un hommage à l'éternel féminin à l'aube du troisième millénaire. Même attention à sculpter le corps féminin avec les Marilyn blêmes de Christian Lacroix (tons floraux stridents et savant travail des plis), les élégants drapés de Thierry Mugler, où parfois l'humour s'exprime (robes-méduses), ou les mousselines diaphanes superposées du Brésilien Ocimar Versolato, moderne et précieux, qui nous introduit dans un monde peuplé de fées des neiges et d'elfes. Nouvel invité de la Chambre syndicale, Franck Sorbier semble avoir réussi son examen avec mention. Ses 18 modèles, d'une « simplicité compliquée » et réalisés par le créateur lui-même, constituaient une collection poétique et confirmaient la maîtrise du flou de leur auteur. Moins apaisé, Paco Rabanne, dont c'était la dernière collection haute couture trente ans après avoir fondé sa maison et révolutionné sa discipline, continuera de superviser le prêt-à-porter et les parfums. Avant de tirer sa révérence, il a offert un festival de ses spécialités : patchworks de cuir façon vitrail, robes fluides et fourreaux en jersey métal scintillant aux motifs géométriques façon Mondrian, robes d'extraterrestres hérissées de sortes de fins palpeurs-épines sérigraphiés à l'image de monuments : Reichstag de Berlin, Atomium de Bruxelles, Opéra de Sydney, statue de la Liberté et Paris, ville en sursis selon le couturier médium.

Stéphane Rolland pour Scherrer dédie sa collection à l'Asie, continent avec lequel la maison entretient des relations privilégiées. On a remarqué le côté hiératique et spectaculaire de ces belles de jour enfouies dans des manteaux mongols en cachemire ou revêtues de superpositions, toges sur tuniques, tabliers sur jupes. Parmi les jeunes encore, Valentin Yudashkin, couturier russe, destine ses robes à des femmes qui n'ont pas envie de passer inaperçues : trompe-l'œil et faux-semblant pour le jour et provocation sexy pour le soir. Adeline André a, avec la bénédiction de LVMH, présenté 17 modèles au musée Maillol : une collection baptisée « Renaissance », qui trouverait sa source dans la création du monde. Grâce et sérénité de nymphettes vêtues de robes évanescentes et de mousselines aériennes aux tons subtils et impalpables couleur d'aube. Hymne à l'aube, surgi d'un autre espace-temps, telle apparaissait la collection Lecoanet Hemant dans les jardins du Palais-Royal : tops en tissage artisanal et vestes assemblées de fibres ou déesses venues sur terre pour le passage du millénaire ?

Le prêt-à-porter de l'été 2000

Après la désaffection qui semble frapper Londres – l'absence des grands noms : Alexander McQueen, Vivianne Westwood, Nicole Fahri –, Paris semble se ragaillardir : l'économie va bien et la consommation intérieure s'est redynamisée. Les collections ? Pas de saut prophétique vers le futur, bref rien de révolutionnaire pour des défilés censés incarner l'été 2000, mais pas moins qu'à Milan ou New York après tout. Juste le trousseau du siècle qu'on enterre. Et l'occasion d'en revenir à la couleur et de rejeter le minimalisme des temps de crise économique. Le retour de la couleur célébré comme la fin de la paresse : relevée chez Dries Van Notten, suave chez Comme des garçons, érotique chez Issey Miyake, simplement gaie chez Jean-Paul Gaultier...

Quai d'Austerlitz, l'Allemand Josephus Melchior Thimister fait déambuler ses mannequins-rebelles d'un pas martial dans des vêtements d'un classicisme « grand genre » (trenchs ou blousons) revisité trash (cuirs fanés, lins froissés). Quai d'Austerlitz également, le Hollandais Tom Van Lingen chausse ses mannequins de bijoux de pieds, tout simplement. Il crée une couture design qu'il a baptisée « pleasurewear » : le corps s'abandonne dans des robes tubulaires de maille, des pantalons qui glissent sur les hanches ou des jupes tricotées de ruban. Amoureux des lignes géométriques, Van Lingen apprécie le carré, en aplat sur des robes, une cape « grille », une jupe « cube » ou une robe « boîte ». Dries Van Noten propose toujours une mode conceptuelle dans des silhouettes faussement fragiles à l'œil noir et des vêtements faussement simples dans des matières rafinées, luxuriantes et vives. Épicées aussi, les couleurs de Kenzo, qui tire sa révérence après trente ans au service des hommes et des femmes, avec une rétrospective de trois heures qui rappelle que la mode est un éternel recommencement. La plupart des modèles avaient été piochés dans les archives maison. Saison après saison, Kenzo a inventé un vocabulaire et créé un répertoire qui a marqué une époque. Le premier styliste japonais installé à Paris a ouvert la voie à Issey Miyake, Kansaï Yamamoto, Irié ou Tokyo Kumagaï, et à une deuxième génération plus rebelle dans les années 80, celle de Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto. Kenzo s'efface, c'est un moment de l'histoire de milliers de femmes qu'il a fait voyager à travers les continents ou parées de couleurs inédites qui s'achève.