Farouchement indépendant, Poulenc assume sa personnalité, portant un regard lucide sur sa création, comme il l'écrit à André Schaeffner en 1942 : « Je sais que je ne suis pas de ces musiciens qui auront innové harmoniquement comme Igor [Stravinsky], Ravel ou Debussy, mais je pense qu'il y a place pour de la musique neuve qui se contente des accords des autres. N'était-ce pas le cas de Mozart, Schubert ? » Paradoxalement, Poulenc n'est pas hermétique à la musique de son temps. Attentif notamment au mouvement sériel, il ne songe pas pour autant à intégrer le système dans son propre langage, contrairement à Stravinsky : « Je n'irai pas jusqu'à flirter avec les douze sons comme Igor pour rattraper ces messieurs, mais il m'est pénible qu'on ait l'air d'attribuer le succès de mes [Dialogues des] Carmélites à une aimable banalité. Je ne crois pas que si les Carmélites avaient été traitées à la Menotti cela suffirait à leur donner leur potentiel émotif et leur qualité musicale. » Et il n'hésite pas à parier sur l'avenir de sa musique : « Je sais bien que je ne suis pas à la mode, mais j'ai besoin qu'on me considère. Cela a eu lieu. D'ailleurs, je pense que, dans l'avenir, on me jouera plus que Barraqué ou Pousseur. »

La lyrique de Poulenc

Pianiste de formation, Poulenc eut une riche activité d'interprète. Il participa notamment à la création de ses Aubade et Concerto pour deux pianos. Au début des années 30, il donnait concerts et conférences pour « gagner quelques sous » afin de « suppléer sans déchoir les emmerdements de la vie » et de ne pas condescendre à « écrire des musiques inférieures et vénales ». C'est surtout dans le récital de mélodies qu'il impose son statut de pianiste, particulièrement dans le cadre du duo piano-chant qu'il constitue en 1934 avec le baryton Pierre Bernac, rencontré huit ans plus tôt lors de la création de ses Chansons gaillardes. Leur collaboration allait durer un quart de siècle. La poésie inspira à Poulenc quelques-unes de ses plus belles pages. « Il y a un fait certain, c'est que si l'on aime Apollinaire, Eluard, Aragon, Loulou, etc., il faudra toujours en passer par moi », affirmait-il à Bernac. « Si l'on mettait sur ma tombe. “Ci-gît Francis Poulenc, le musicien d'Apollinaire et d'Eluard”, il me semble que ce serait mon plus beau titre de gloire », disait-il en 1945. Il appréciait tant les mélodies – il en laisse 137, dont plus du tiers écrit pour son duo avec Bernac – qu'il leur consacra des Mémoires, Journal de mes mélodies. Outre Bernac – à qui il avouait « personne mieux que vous ne connaît mon mécanisme musical. La meilleure de mes notes aura d'ailleurs toujours été votre débiteur » –, Poulenc aimait travailler avec Denise Duval, « belle comme le jour, le chic sur la terre, une voix en or... », qui créa le rôle principal des Mamelles de Tirésias, et pour qui il composa celui de Blanche des Dialogues des carmélites, mais aussi la Voix humaine, la Courte Paille et la Dame de Monte-Carlo, et avec Marya Freund, Claire Croiza, Suzanne Pignot, Doda Conrad, Maria Modrakowska.

Tout en s'illustrant dans tous les genres, orchestre, concerto, musique de chambre, pièces pour instruments à vent, Poulenc s'est surtout imposé dans la musique vocale, de la mélodie à l'opéra en passant par la musique sacrée. Il n'est en effet jamais plus à l'aise que sculptant le verbe, français, celui de Cocteau, Jacob, Ronsard, Eluard, Vilmorin, mais aussi latin, héritage de la piété paternelle. « Je suis religieux, par instinct profond et par atavisme », confiait-il à Claude Rostand en 1954. « Autant je me sens incapable d'une conviction politique ardente, autant il me semble tout naturel de croire et de pratiquer. Je suis catholique. C'est ma plus grande liberté. Cependant, la douce indifférence de ma famille maternelle m'a, tout naturellement, conduit à une longue crise d'oubli. De 1920 à 1935, je me suis, je l'avoue, fort peu soucié des choses de la foi. » Opéras, mélodies, musique chorale, de la messe à la cantate profane, mais aussi chanson à boire, chanson populaire et motet, constituent l'aspect le plus riche de la production de Poulenc. Il y dévoile toutes les facettes de sa personnalité tourbillonnante, sa candeur et sa gouaille, son humour et sa gravité, son charme désinvolte et son austérité.

À l'écoute des autres

Fréquentant assidûment les salons les plus huppés, où il côtoyait tout ce qui compte à Paris dans le monde des arts, des lettres et de la politique, Poulenc a su aussi mettre sa célébrité au service de la musique et des musiciens de son temps.