Le fantastique balzacien se distingue par un humour qui ne se confond nullement avec l'« humoresque » d'Hoffmann. À la mobilité extrême des humeurs et des rêveries entretenues par le « punch » succède un regard à la fois complaisant et critique sur la société humaine. Celle-ci apparaît déjà à Balzac comme cette « comédie à cent actes divers » dont avait parlé Jean de La Fontaine.

La Comédie humaine

Balzac a laissé entendre que, dès 1829, lors de la publication du Dernier Chouan, il avait conçu un ensemble. Le roman, dans son premier état, avait été présenté comme « la première assise [d'une] œuvre immense ». En 1842, l'« Avant-propos » de la Comédie humaine remontera volontairement en arrière. « En donnant à une œuvre entreprise depuis bientôt treize ans le titre de la Comédie humaine, écrit Balzac, il est nécessaire d'en dire la pensée, d'en raconter l'origine, d'en expliquer brièvement la place, en essayant de parler de ces choses comme si je n'y étais pas intéressé. »

Les projets se sont multipliés pour constituer en un massif ces récits, romans ou nouvelles dont est prodigue un génie fécond à l'invention intarissable. Il a pensé d'abord à une Histoire de France pittoresque, le projet même qu'il prête à Lucien de Rubempré et dont fait partie l'étude Sur Catherine de Médicis. En 1834, il a envisagé un projet beaucoup plus vaste, qui aurait dû aboutir à cinquante volumes et pour lequel était prévu le titre d'Études sociales. Félix Davin (1807-1836) le présente en 1835 dans une « Introduction » aux Études de mœurs au xixe siècle que Balzac a pour le moins supervisée. L'ensemble devait être divisé en six « portions » : Scènes de la vie privée, Scènes de la vie de province, Scènes de la vie parisienne, Scènes de la vie politique, Scènes de la vie militaire, Scènes de la vie de campagne. Les Études de mœurs étaient prévues comme constituant la première partie » d'un ensemble encore plus étendu qui comporterait aussi des Études philosophiques et des Études analytiques. Ce triptyque devait correspondre à l'idée lancée par Balzac dans une lettre à sa future femme, Mme Hanska, le 26 décembre 1834 : « Après les effets et les causes doivent se chercher les principes. Les mœurs sont le spectacle, les causes sont les coulisses et les machines, les principes, c'est l'auteur. »

On voit clairement que l'ambition de Balzac n'est pas d'être un écrivain « réaliste ». Avant 1850, l'année de sa mort, le terme est d'ailleurs peu employé, et l'auteur de la Comédie humaine ne s'est jamais mis à semblable école – ayant été tout au plus un « canard », pour reprendre le mot méprisant de Baudelaire. Sans doute le romancier a-t-il voulu, comme il l'a dit, « faire concurrence à l'état civil ». Il a donné une identité sociale à ses personnages, il les a situés, il a meublé leur vie d'une infinité de détails concrets. Ce sont eux, par exemple, dans le Curé de Tours, qui composent l'armature du drame et qui fournissent déjà l'ouverture : Birotteau attendant sous l'averse, à la porte d'une maison dont l'histoire est exposée au lecteur.

De l'avant-scène aux scènes, le roman balzacien impose des images frappantes, du « vu » ou du « qui-pour-rait-être-vu ». La description de la pension Vauquer, au début du Père Goriot, frappe à la fois par sa longueur et par sa nécessité.

Tout cela doit être éclairé par l'idée, par ce que Balzac appelle volontiers « la pensée », c'est-à-dire, il le précise lui-même, « les passions, les vices, les occupations extrêmes, les douleurs, les plaisirs ». Il est facile d'illustrer chacun de ces termes par un roman choisi dans la Comédie humaine : l'amour passionné du père Goriot pour ses deux filles, l'avarice du père Grandet, la folie de la science chez Balthazar Claës dans la Recherche de l'absolu, la douleur amoureuse de Louise de Chaulieu dans les Mémoires de deux jeunes mariées, la peinture des plaisirs parisiens dans la Fille aux yeux d'or ou dans Splendeurs et misères des courtisanes. Derrière chaque personnage se cache une idée : c'est l'idée de probité qui tuera César Birotteau comme un coup de poignard, l'exigence artistique de Frenhofer dans le Chef-d'œuvre inconnu, l'homosexualité de Vautrin attiré par Lucien de Rubempré. Cette idée leur donne de la force et leur permet de passer d'un roman à l'autre, contribuant ainsi à l'unité de l'ensemble en formation. Ainsi Vautrin peut-il être l'abbé Carlos Herrera à la fin des Illusions perdues et le bagnard Jacques Collin dans Splendeurs et misères des courtisanes avant d'être « réconcilié », avec la société sinon avec lui-même, comme Melmoth. Rastignac, son autre protégé, dans le Père Goriot, se retrouvera ailleurs, par exemple dans la Maison Nucingen.