La télévision est un autre bouc émissaire. La télémanie qui émousse l'esprit critique, flatte les pulsions de plaisirs immédiats et banalise la violence, a un effet négatif sur le comportement en classe. Habitué à recevoir passivement le flot télévisuel, l'enfant saura-t-il qu'il ne peut pas zapper son professeur parce que le cours ne lui plaît pas ou parce qu'il a envie d'aller se détendre ? Saura-t-il participer au cours de façon soutenue ? Ce n'est pas tant le temps passé devant le petit écran qui est responsable. Le problème est plus grave. L'enfant qui vit dans une famille où on se parle peu, où on s'écoute encore moins et où on préfère regarder la télévision plutôt que lire n'aura que peu de chances d'accéder au monde de l'écrit. Ici, les véritables responsables sont le silence et l'indifférence dans lesquels la famille vit.

Le vrai problème est dans les stéréotypes de la grande masse des séries télévisées : distribution des rôles entre bons et méchants et succession prévisible des événements. La compréhension est donc déterminée avant la perception du message. Alors que l'acte de lecture nous amène à faire des hypothèses qui sont confirmées ou infirmées par la suite du texte. Accepter de rentrer dans un texte, c'est prendre un risque que l'enfant habitué aux séries télévisées ne pourra pas prendre.

La télévision peut-elle aider à l'apprentissage de la lecture ? Une réponse positive a été donnée, au début des années 1970, par des émissions telles que « Sesame Street » et « Electric Company ». Pourquoi ce que la télévision faisait alors, le multimédia informatique ne le ferait pas aujourd'hui ?

Hors les déficits visuels et auditifs, hors la dyslexie, il n'y a pas de cause organique connue à l'illettrisme ni de lien entre le QI et l'illettrisme. Néanmoins, si nous voulons comprendre les origines de l'illettrisme, nous devons remonter très en amont dans la petite enfance. L'enfant sait bien qu'apprendre est une technique de survie. Pour cela, il a besoin de toucher, voir, écouter, sentir, goûter ; c'est par ces gestes qu'il découvrira le monde. Chacune des expériences émotionnelles, chacune des expériences d'apprentissage, chacune des réponses est « marquée » dans le cerveau, avec sa charge émotive, positive ou négative. C'est sur ces « marqueurs » que l'enfant et l'adolescent construisent leurs apprentissages, leur savoir et leur raisonnement. Bien entendu, loin de nous l'idée de rendre les parents responsables ou coupables de l'illettrisme de leur enfant, mais l'enfant qu'on félicite souvent devient plus intelligent que l'enfant sans cesse réprimandé. Bien des échecs dans les apprentissages peuvent probablement trouver leur explication dans l'indifférence ou le rejet de l'entourage.

« J'ai plein de mots morts dans ma tête »

Les différentes études et statistiques véhiculées par les médias dressent un portrait-robot de l'illettré guère flatteur. Il cumule les handicaps : la honte, le chômage, la marginalité, voire la délinquance. En un mot, un inadapté. Parce que asocial, l'illettré serait-il particulièrement dangereux ?

Les résultats d'une étude menée, par Alain Bentolila, auprès de 1 000 illettrés auxquels on a fait lire un texte montrent que 28 % n'ont rien compris du tout, 25 % donnent des réponses globalement correctes, les autres brodent ou fabulent complètement. Le peu de noms retenus ne concernent que les notions familières. Les verbes, les adjectifs, les petits mots qui modulent le sens sont négligés. Mal identifié, le message n'est pas saisi, et on n'a pas conscience de son importance. Finalement, l'information ne passe pas. Une autre étude menée par nos propres soins auprès d'élèves en grande difficulté nous a montré que même les mauvais lecteurs cherchent à donner un sens à ce qu'ils lisent mais qu'ils utilisent d'autres stratégies que les bons lecteurs. Malheureusement, celles-ci s'avèrent souvent inefficaces. Leurs difficultés résident en partie dans le dysfonctionnement de la mémoire sémantique et de la mémoire lexicale. (Ces deux mémoires reliées l'une à l'autre permettent la mémorisation des mots.) La langue écrite n'est pas la transcription de la langue orale ; néanmoins, l'expérience prouve qu'un défaut d'oralité est solidaire de la difficulté de lecture. L'illettrisme est souvent accompagné par un discours d'un très faible degré de cohérence explicite ; les liaisons logiques sont presque totalement absentes, et il n'y a pas d'organisation chronologique.