Les nouveaux grands télescopes

En 1999, le premier des quatre télescopes de 8,2 m du réseau européen VLT (Very Large Telescope) en cours d'installation au Chili est devenu opérationnel et le deuxième, Kueyen, a reçu sa première lumière, tout comme, à Hawaii, le télescope japonais Subaru de 8,3 m et le télescope Gemini Nord de 8,1 m.
Depuis l'entrée en service, en 1993 et 1996, des deux télescopes américains Keck de 10 m d'ouverture, le parc des télescopes géants ne cesse de s'accroître.

Il y a une trentaine d'années, beaucoup pensaient que le développement des observatoires spatiaux allait sonner le glas de l'astronomie au sol. En effet, non seulement l'espace ouvre de nouvelles fenêtres d'observation sur l'Univers en donnant accès à des rayonnements que l'atmosphère terrestre arrête ou absorbe (rayons g et X, ultraviolet, infrarouge lointain) ; mais, dans le domaine visible lui-même, il semblait techniquement impossible d'accroître encore la dimension des télescopes et de s'affranchir des perturbations engendrées par l'atmosphère. Hormis la construction – laborieuse – du télescope soviétique de 6 m de Zelentchouk, la mode était plutôt aux instruments de 3,5 à 4 m de diamètre, avec une attention particulière portée à l'amélioration des récepteurs.

Nouvelle donne

Depuis, l'irruption de nouvelles technologies a bouleversé la donne. Les obstacles qui interdisaient la construction de très grands télescopes ont été levés. On a enfin trouvé le moyen d'accroître la dimension des miroirs sans que leur poids devienne rédhibitoire. Trois procédés sont désormais utilisés concurremment : on réalise des miroirs monoblocs minces, donc déformables, mais dont la forme est contrôlée et ajustée en permanence par ordinateur selon la technique dite « de l'optique active » ; ou bien des miroirs segmentés constitués d'une mosaïque d'éléments de taille moyenne dont le polissage ne pose pas de problèmes majeurs ; ou encore des miroirs rigides épais allégés par une structure alvéolée. Les miroirs ne sont plus disposés dans un tube fermé, comme naguère, mais supportés par une structure métallique en treillis, plus légère et favorisant la circulation de l'air autour des pièces optiques. De plus, la généralisation du pilotage par ordinateur permet de substituer à la traditionnelle monture équatoriale (dont l'un des axes est parallèle à celui des pôles terrestres, pour que l'on puisse aisément compenser le mouvement apparent des astres dû à la rotation de la Terre) une monture azimutale (mobile autour d'un axe vertical et d'un axe horizontal), bien plus légère et beaucoup plus satisfaisante mécaniquement (les flexions sont sensiblement réduites).

On fabrique ainsi des instruments plus compacts et plus économiques. Autre progrès majeur, la technique d'optique adaptative permet de corriger en temps réel les perturbations des images dues à la turbulence atmosphérique. Enfin, des détecteurs électroniques extrêmement performants, les CCD (Charge Coupled Devices, dispositifs à transfert de charge), remplacent désormais avantageusement la plaque photographique.

La course aux supertélescopes

Tous ces perfectionnements ont donné le signal d'une véritable course aux supertélescopes. Bientôt, le fameux télescope de 5 m du mont Palomar – inauguré en 1948 et resté le plus grand du monde jusqu'au milieu des années 1970 – se trouvera ainsi relégué au quinzième rang mondial des optiques astronomiques géantes !

Les Américains ont pris une longueur d'avance avec les deux télescopes Keck, opérationnels depuis 1993 et 1996 respectivement. Implantés à 85 m l'un de l'autre, sur le Mauna Kea, à Hawaii, à 4 150 m d'altitude, grâce à une fondation associant des fonds privés, l'institut de technologie de Californie et l'université de Californie, ces deux instruments identiques détiennent actuellement la palme du gigantisme. Leur miroir principal, segmenté, est une mosaïque de 36 éléments hexagonaux de 1,8 m de large, offrant une surface collectrice équivalant à celle d'un miroir circulaire de 10 m de diamètre ; celle-ci est ajustée deux fois par seconde par cent huit petits servomoteurs, en sorte qu'elle ne s'écarte jamais de plus de 50 millionièmes de millimètre de la forme idéale. Pour l'instant, les deux instruments fonctionnent indépendamment, mais il est prévu, ultérieurement, de les coupler pour accroître leurs performances selon la technique de l'interférométrie. Les huit États européens (Allemagne, Belgique, Danemark, France, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse) réunis au sein de l'ESO (European Southern Observatory) se sont engagés, pour leur part, dans la construction, dans l'hémisphère Sud, d'un ensemble encore plus imposant, le VLT. Celui-ci, implanté au Chili, sur le Cerro Paranal, à 2 635 m d'altitude, comportera, quand il sera complet, vers 2003, quatre télescopes dotés chacun d'un miroir de 8,2 m et pouvant être utilisés soit indépendamment, soit de façon combinée. Cette dernière utilisation sera renforcée par la présence de trois télescopes auxiliaires de 1,8 m, mobiles, qui feront de ce réseau d'instruments l'équivalent d'un télescope de près de 100 m de diamètre. Le VLT sera le principal concurrent des télescopes Keck, notamment pour l'exploration de l'Univers lointain et les recherches cosmologiques. Du fait des retards pris dans la réalisation de ce réseau géant, les Européens devront malheureusement affronter une concurrence internationale beaucoup plus vive qu'ils ne le prévoyaient lorsque sa construction fut décidée, en 1987.

Une famille nombreuse

Aujourd'hui, pas moins d'une demi-douzaine d'autres télescopes géants sont en construction, en voie d'achèvement ou en phase d'essai dans le monde : sur le mont Graham, en Arizona, à 3 200 m environ d'altitude, un télescope binoculaire américano-italo-allemand, le LBT (Large Binocular Telescope), associant deux miroirs de 8,4 m de diamètre dans une monture unique comme une gigantesque paire de jumelles ; sur le Mauna Kea, à Hawaii, à près de 4 200 m, le télescope japonais Subaru, doté d'un miroir de 8,3 m, et le télescope international Gemini Nord, doté d'un miroir de 8,1 m ; sur le Cerro Pachón, au Chili, à 2 720 m, le télescope international Gemini Sud, jumeau du précédent ; sur le mont Hopkins, en Arizona, à 2 600 m, un télescope à miroir monolithique de 6,5 m de diamètre (en remplacement d'une combinaison de six miroirs de 1,8 m qui équivalait à un miroir unique de 4,5 m) ; enfin, à Las Campanas, au Chili, à 2 300 m, les deux télescopes jumeaux de 6,5 m du projet Magellan.