Quoi qu'il en soit, l'absence de deux malheureux octets aura coûté à la planète entre 300 et 600 millions de dollars (répartis sur les cinq dernières années) pour empêcher ordinateurs et systèmes électroniques de tomber en panne le 1er janvier, ce qui fait du bogue de l'an 2000 l'un des sinistres les plus graves de l'histoire industrielle : la guerre du Viêt-Nam en a coûté 500, celle du Golfe, 60. Le gouvernement français estime la dépense nationale à 120 milliards de francs. Si ces chiffres prennent en compte tous les investissements réalisés pour adapter les systèmes informatiques au franchissement de l'an 2000, nombre d'entreprises ont profité de l'échéance pour moderniser leur parc informatique, investissements qui leur incombaient de toute façon, notamment pour adapter leur équipement aux nouvelles exigences du commerce électronique. Chez l'opérateur de téléphonie Cegetel, on se féliciterait presque du bogue : « On en a profité pour rénover notre infrastructure informatique. » Montant total des investissements : 200 millions de francs. Cette maintenance informatique a largement bénéficié aux sociétés de service informatique (SSII) qui ont envoyé des centaines de programmeurs inventorier les matériels liés à l'informatique, repérer (« peigner ») les millions de lignes de programmes concernées par le bogue, écrites dans des langages tombés en désuétude comme le cobol, et leur apporter les corrections nécessaires. Ces opérations de « nettoyage » ont contraint les autorités, notamment aux États-Unis, à mettre les entreprises en garde contre les risques d'espionnage ou de piratage.

Une autre facette du bogue : l'année bissextile

Un autre problème lié au bogue de l'an 2000 menace après la date fatidique du 1er janvier, celle du 29 février 2000, année bissextile. La règle déterminant si une année est bissextile n'a pas toujours été prise en compte par les programmeurs : les années bissextiles sont divisibles par 4, sauf les années divisibles par 100. Toutefois, les années divisibles par 400, comme l'an 2000, sont bissextiles.

L'heure de vérité

La France et le monde, mobilisés dans les festivités du prémillénaire, ont passé l'an 2000 sans encombre. Au soir du 1er janvier les dysfonctionnements se limitaient à des alertes mineures : le pays est entré dans la nouvelle année « sans problème majeur sur les réseaux » et a « bien surmonté le bogue ». L'incident le plus marquant s'est produit du côté de l'armée : Syracuse II, un système de stations satellites terrestres ou embarquées sur des bateaux qui assurent les transmissions entre Paris et les théâtres d'opérations militaires, a affiché, dès minuit, des signes de faiblesse. La panne incombe à un système d'alarme qui s'est déclenché à tort, tandis que l'armée assure que « ce dysfonctionnement n'a eu aucun impact opérationnel ». À Bercy, siège de la tour de guet française, on recommande toutefois d'attendre le soir du lundi 3, avec la reprise de l'activité des PME et la dissolution effective du dispositif. Il sera temps alors de se féliciter. La cellule « bogue 2000 » de la Confédération générale des PME (CGPME) n'a enregistré « aucun appel au secours » de la part de ses adhérents sur des dysfonctionnements informatiques liés au passage à l'an 2000. « Il reste maintenant à tester les logiciels de paie d'ici à la fin du mois », a ajouté la direction de la CGPME.

Sur l'ensemble de la planète, les communiqués se succèdent, plus rassurants les uns que les autres. On craignait le pire, mais rien ou presque ne s'est produit. La plus grande vigilance était de mise, notamment pour les systèmes d'armement, les centrales nucléaires, les avions, les hôpitaux et les systèmes de distribution de billets. Dans leur immense majorité, les ordinateurs du monde entier ont bien passé l'an 2000, même dans les ex-républiques soviétiques où l'on s'attendait à d'éventuels dysfonctionnements. Le bogue tant redouté n'a finalement pris la forme que d'incidents mineurs, notamment au Japon : la confusion informatique entre 2000 et 1900 a été à l'origine de la panne d'un détecteur de fuites radioactives à la centrale nucléaire japonaise de Shika, à 275 km de Tokyo. Mais l'incident n'a pas été considéré comme suffisamment sérieux pour que l'installation cesse de fonctionner. « Nous pouvons dire de façon sûre que le bogue de l'an 2000 a été vaincu pour ce qui est des systèmes d'infrastructures clés aux États-Unis », a déclaré le conseiller du président Clinton, John Koskinen. Toutefois, le « M. Bogue » de la Maison-Blanche a jugé probable la survenance « ici et là » de défaillances, mais qui seront, selon lui, « localisées et temporaires ». Et « sans menace pour l'économie du pays ».