Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

18 Brumaire : le sauvetage de la Révolution ?

Il y a deux cent ans le 18-Brumaire an IX, cinq ans après le coup de force des Thermidoriens, le régime du Directoire est renversé par un coup d'État qui place au pouvoir le général Bonaparte. La France révolutionnaire, en guerre contre l'Europe des monarques, est à la recherche d'un pouvoir fort, qui puisse conforter les acquis des années de réforme. L'opinion la plus répandue sur le 18-Brumaire est que cette solution était souhaitée et que son instrument – le général Bonaparte – était l'homme providentiel. Forgée par les partisans du futur empereur, cette opinion s'est imposée au cours du xxe siècle pour apparaître en filigrane tant dans les discours officiels que dans les programmes scolaires. Il apparaît alors comme le deuxième jour de naissance de la France moderne, après le 14 juillet 1789. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner de la parution de plusieurs ouvrages sur ces journées (le coup d'État s'est déroulé sur deux jours, les conjurés voulant se donner toutes les garanties constitutionnelles pour légitimer le renversement du pouvoir), et l'organisation de colloques destinés à se pencher sur l'œuvre du Consulat.

Le Directoire, un régime dans l'impasse

En 1799, dix ans après le soulèvement populaire de 1789, la France accouche d'un pouvoir aux réminiscences romaines, le Consulat, mais aux prétentions en fait dictatoriales. Comment en est-on arrivé à cet abandon des principes révolutionnaires ? Depuis 1794, les conventionnels thermidoriens ont balayé le régime centralisateur tenu responsable de la terreur, ont imposé une constitution complexe et resserré le corps électoral. Clairement dirigée contre la gauche républicaine, la Constitution de l'an V a instauré un régime de notables et ouvert la possibilité aux royalistes de reconquérir une influence croissante dans les deux assemblées. Les mécontentements sociaux, le rejet par une partie du pays de la constitution civile du clergé et du régime, le climat de défaite instillé par des armées vaincues et le renforcement des forces coalisées laissent augurer en septembre 1799 des jours sombres. Dans un premier temps, plusieurs ministres, les directeurs Barras et Sieyès, des personnalités comme Talleyrand, Volney, Roederer, etc. évoquent de plus en plus ouvertement la possibilité de mettre à la tête de l'État un général. Dans un premier temps, ils approchent le général Bernadotte, nommé récemment ministre de la guerre. Mais celui-ci est soupçonné d'être trop proche des républicains. Inquiet, le pouvoir obtient même la démission du futur roi de Suède. Si d'autres généraux sont évoqués, comme Jourdan, c'est parce que l'armée est l'unique corps social homogène, qui a l'avantage de bien tenir en main les instruments de sa fonction, à savoir le maintien de l'ordre. Le retour d'Égypte surprise du général Bonaparte à la mi-octobre fournit aux comploteurs l'homme de la situation.

Ces hommes, Cambacérès, dans ses Mémoires inédits récemment publiés, les décrits ainsi : « Après avoir été presque tous de chauds partisans de la Révolution, ils souhaitaient ardemment qu'elle eut un terme ; et quoique la plupart ne se connussent point, ils s'entendaient parfaitement sur les moyens d'atteindre au but désiré, auquel ils ne pouvaient parvenir qu'en substituant un nouvel ordre de choses à ce qui existait. » La déliquescence du pouvoir politique incapable de s'imposer tant aux Jacobins, d'un côté, qu'aux royalistes, de l'autre, les pousse à trouver une solution en dehors des institutions directoriales. À la solution militaire, d'autres envisagent une solution dynastique, en contactant la famille d'Orléans. Cela signifie que la majorité des cadres politiques ne croient plus dans l'efficacité de la constitution de l'An V, et rejettent toute solution du type Convention ou « la Patrie en danger » pour remobiliser le peuple comme le souhaitent les Jacobins. Ces hommes recherchent une nouvelle solution politique. Cambacérès, à l'époque, ministre de la Justice depuis le mois de juillet, résume en quelques phrases les vœux des conjurés : « On ne veut ni de l'oligarchie, ni de la République établie par la Convention et par la constitution de l'An III, ni de la monarchie des Bourbon. Il faut une forme de gouvernement qui réunisse tous les avantages que la Révolution nous promettait, sans craindre le retour des dangers auxquels nous avons été exposés. »