Dans sa volonté de mettre en place une politique redistributive des revenus, le gouvernement s'est trouvé confronté à une double réalité. D'une part, la transformation des modèles familiaux incite à une réflexion sur la législation de la famille. De l'autre, la logique nataliste et égalitaire qui a prévalu à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans la structuration des allocations familiales risque d'être entamée si la réforme en question propose une mise sous condition de ressources de ces allocations. Sur les deux terrains, la droite – soutien traditionnel des « valeurs familiales » – va engager le fer.

La première bataille, la plus visible, concerne les allocations familiales. La loi de finances pour 1998 prévoit une mise sous condition de ressources, et des députés et sénateurs UDF et RPR saisissent aussitôt le Conseil constitutionnel, au motif que cette disposition est une violation du principe constitutionnel d'égalité ainsi que du préambule de la Constitution selon lequel « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Mais le Conseil constitutionnel valide la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Le décret d'application de la loi de finances organise donc une entrée en vigueur de la mesure dès avril 1998. Ce sont 7,8 % des familles qui seraient alors exclus du bénéfice des allocations : 268 000 familles de deux enfants, 70 000 de trois et 13 000 de quatre, mais cela réduirait de 4,8 milliards de francs sur une année le déficit de la branche « famille », estimé à 11,8 milliards.

Un contrat d'union civique

Dans le même temps, un débat latent est repris au Parlement sur les conséquences à tirer des transformations de la famille. Ne faut-il pas réformer une législation qui favorise largement les couples mariés, en particulier dans le cas de l'héritage, alors que les couples non mariés, qu'ils soient hétéro- ou homosexuels, sont très lourdement pénalisés ? La déclaration de concubinage, dans le cas des couples hétérosexuels, ne suffit pas à régler le problème. Il est donc envisagé de créer une forme de contrat qui serait passé soit devant le maire, soit devant une autre autorité administrative (le préfet) : d'abord nommé « contrat d'union sociale », il devient ensuite le « pacte civil de solidarité » (PACS). Des propositions de loi autour de ce contrat seront examinées par l'Assemblée nationale à l'automne 1998. Mais, là aussi, la controverse fait rage dans les rangs de certaines associations familiales et des défenseurs de la famille traditionnelle.

Devant la multiplicité des problèmes posés, Martine Aubry fait effectuer plusieurs rapports relatifs à la famille. Cette réflexion se situe dans la perspective d'une grande conférence sur la famille, qui se tient le 12 juin 1998. Le débat paraît donc ouvert, mais ses conclusions ne vont pas toutes dans le sens amorcé par le gouvernement. Le rapporteur du volet « famille » du projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l'Assemblée préconise de rétablir les allocations familiales pour tous ; le rapport sur les problèmes quotidiens des familles considère qu'il convient d'étendre la politique familiale à toute : l'action sociale, sans la cibler sur la seule famille ; le rapport sur les changements et le rôle de la famille avance des conclusions en retrait des projets de ce « contrat d'union civique ». Mais c'est surtout le plafonnement des allocations familiales qui fait l'objet de réactions publiques très défavorables, notamment dans les classes moyennes.

S. E.-S.

Une vaste concertation sur la famille

Lionel Jospin choisit donc, dès juin 1998, et contrairement aux vœux de la plus grande partie de sa majorité, de renoncer, dans un premier temps, à la mise sous condition des allocations familiales et d'entreprendre une vaste concertation sur la famille. Il s'agit désormais pour le gouvernement de privilégier une approche globale qui permette à la gauche de se doter d'une véritable politique familiale.

La « bataille de Paris »

Sur fond de revers électoraux et d'affaires Tiberi, le 6 avril 1998, à l'initiative de l'ancien garde des Sceaux, Jacques Toubon, la majorité municipale parisienne vole en éclats. Réclamant plus de « transparence », plus de « démocratie » afin de « créer les conditions de la victoire en 2001 », le maire du XIIIe arrondissement de la capitale, proche du chef de l'État au même titre que Bernard Pons, qui le suit dans l'aventure, part en guerre contre Jean Tiberi. L'initiative fait long feu.