Pakistan, la fuite en avant

L'ancien Premier ministre, Zulficar Ali Bhutto, avait promis « la bombe » à ses concitoyens, quitte à ce qu'ils en soient réduits « à manger de l'herbe ». La promesse a été tenue et le Pakistan est devenu la première puissance islamique nucléaire. Mais la grande joie de la population aura été de courte durée : incapable de faire face à la crise économique et aux conflits interethniques, le régime de Nawaz Sharif a voulu neutraliser l'opposition islamiste en faisant voter un amendement qui place la loi islamique au-dessus de la Constitution, sous l'œil réprobateur de l'institution militaire.

Après la série de tests indiens, les 11 et 13 mai, le Pakistan procédait à son tour à cinq essais nucléaires dans le désert occidental du Baloutchistan, le 28 mai. Le Premier ministre Nawaz Sharif a aussitôt présenté ces essais comme une réponse à « la militarisation du programme nucléaire indien ». Une position de nature à inquiéter la communauté internationale, mais qui a soulevé dans la population une vague de fierté. On a ainsi pu voir les Pakistanais fêter l'événement, envahir les rues aux cris d'« Allah Akbar » (Dieu est grand). Un moment de liesse intense que résumait la une du quotidien Ausaf « Le Pakistan est devenu le premier État nucléaire islamique ». Estimant que le Pakistan venait de démontrer qu'il pouvait faire « jeu » égal avec l'Inde, le Premier ministre a choisi de tendre la main à New Delhi afin de « reprendre le dialogue indo-pakistanais pour discuter de tous nos différends, y compris la question centrale du Cachemire, aussi bien que la paix et la sécurité ». En attendant que le Pakistan soit officiellement admis dans le club des puissances nucléaires – attente que partage l'Inde –, son Premier ministre a cru pouvoir bénéficier d'un sursaut de popularité. Mais les résultats économiques, exécrables, sont venus le rappeler aux réalités.

Des difficultés sur tous les fronts

Élu en février 1997 avec une impressionnante majorité sur un programme économique qui devait sortir le Pakistan de la crise, le gouvernement de Nawaz Sharif avait peu de résultats à faire valoir un an plus tard. Le pays a de plus en plus de difficultés à obtenir des prêts de ses bailleurs de fonds traditionnels, Arabie Saoudite, Émirats arabes et Chine. Quant à la deuxième tranche de l'aide du FMI, 208 millions de dollars, elle n'a été accordée que pour des raisons politiques, c'est-à-dire afin de ne pas précipiter une nouvelle crise en Asie. Mais aussi parce que les organisations financières internationales et les créanciers ont plus à perdre qu'à gagner dans le cas où le Pakistan deviendrait insolvable. Un risque que certains experts n'excluait pas, tel cet économiste proche du FMI pour qui un défaut de paiement du Pakistan n'était pas exclu. Le risque est réel. Les réformes structurelles, fiscales et bancaires, réclamées par le FMI, et annoncées à plusieurs reprises comme imminentes par les autorités, n'ont guère dépassé le stade des intentions. Pour leur part, les milieux d'affaires, pourtant courtisés par les autorités, paraissent animés par un manque de confiance envers le gouvernement, en particulier, et le monde politique, en général. Voulu par certains cercles militaires, le soutien inconditionnel aux talibans en Afghanistan contribue à obérer les finances publiques. Plus généralement, les tests nucléaires et la politique extérieure du Pakistan lui valent de connaître un certain isolement. Politiquement, le pays est en mauvais termes avec tous ses voisins, mais aussi avec nombre de ses alliés, comme la Turquie ou la Chine, qui, inquiète des revendications islamiques au Xinjiang, commence à regarder d'un œil peu amène les talibans. D'ailleurs, le conflit afghan n'est pas sans conséquences sur la vie interne du Pakistan : après avoir participé à la guerre, des Pakistanais se livrent au djihad dans leur pays, où le laxisme des autorités à l'égard de l'activisme islamique nourrit les inquiétudes de la société libérale.

La charia au-dessus de la Constitution

Aussi, dans le souci de museler une opposition islamiste qui trouve du grain à moudre avec les dossiers économiques et sociaux sur lesquels le gouvernement a pu donner la mesure de son incapacité, le Premier ministre a réussi à faire voter un amendement constitutionnel renforçant le caractère islamique du pays : le 9 octobre, par 151 voix contre 16, les députés de la ligue musulmane ont décidé de faire de la charia (la loi coranique) et de la sunnah (la tradition) la loi suprême du Pakistan. Selon ce nouvel amendement, le gouvernement fédéral devra « prescrire le bien et le mal », promouvoir « la vertu », éradiquer la corruption et assurer la justice sociale. En clair, ce dispositif donne à l'exécutif un pouvoir supérieur au judiciaire dans la mesure où il annule toute possibilité de recours en cas de litige. Curieusement, on a vu certains partis religieux s'opposer avec la dernière vigueur à l'amendement du 9 octobre au motif que le gouvernement n'est pas compétent en cette matière et que cette loi lui donne des « pouvoirs inacceptables ». En se donnant les pleins pouvoirs, le chef du gouvernement a pris le risque d'être le seul responsable d'une catastrophe qui paraît de plus en plus imminente. Une situation qui n'a pas échappé aux militaires et à laquelle la démission du chef d'état-major de l'armée, le général Karamat – intervenue le 7 octobre, après qu'il a critiqué la situation au Pakistan – aura donné un écho propre à effrayer les partisans de la démocratie. En prenant la décision de s'attaquer à l'institution militaire, N. Sharif a pris le risque d'ouvrir une nouvelle crise puisque l'armée, qui a gouverné le Pakistan pendant près d'un quart de siècle, occupe toujours avec, une évidente visibilité, le terrain politique. Et si le coup ainsi porté à l'armée ne peut que réjouir les nombreux démocrates que compte le pays, il a aussi rappelé que l'institution militaire pourrait bien se poser comme l'ultime recours après avoir fait le constat d'échec des gouvernements démocratiques qui se sont succédé depuis 1988. Certes, le Premier ministre a réussi à se débarrasser du président Farouk Leghari, puis du chef de la Cour suprême. Mais, en s'attaquant au général Karamat, N. Sharif s'est peut-être laissé griser par son habileté politique, ne voyant plus que ses succès vont de pair avec une dégradation de la situation du pays.