Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Mais en France, Matignon a été tardivement informé par M. Trichet, et Bercy tombe des nues. Jean Arthuis, le ministre des Finances, apprend la nouvelle en écoutant la radio dans sa voiture ! Pour l'Élysée, il ne s'agit rien de moins que d'une tentative lancée par ces technocrates de banquiers centraux d'imposer un candidat aux politiques : « un putsch ».

Depuis lors, Jacques Chirac ne décolère pas. Mais lors du sommet de Dublin, en décembre 1996, lorsqu'il s'agit d'approuver formellement la nomination de M. Duisenberg à la tête de l'Institut monétaire européen, le président français ne fait aucun esclandre : tout au plus charge-t-il sa porte-parole de faire savoir que « la nomination du président de l'IME ne préjuge en rien de celle, à venir, du patron de la BCE ». Ce n'est que le 4 novembre 1997, onze mois plus tard, que l'Élysée et Matignon pousseront la candidature de M. Trichet. Mais il sera trop tard, les onze autres pays soutenant le Néerlandais.

Un bilan piteux

L'intention de la France était clairement louable : refuser que des banquiers centraux, sans légitimité autre que celle que leur confère leur compétence technique, forcent la main des gouvernements, issus du suffrage universel. Mais le bras de fer du 2 mai a abouti au résultat inverse.

D'abord, la BCE sera présidée pendant douze ans par un banquier central, ce qui risque d'être considéré par la suite comme une règle non écrite. Ensuite, le directoire de la banque centrale européenne est lui aussi composé quasi exclusivement de banquiers centraux (la seule exception étant le Français Christian Noyer, ancien directeur du Trésor) : aucune personnalité du monde économique, aucun homme politique ne viendront troubler les débats. En cela, la BCE est dès sa naissance la banque centrale la plus « fermée » du monde, ce qui n'est pas sans risques.

Pascal Riché

Les ayatollahs de la monnaie

L'affreux cafouillage des discussions du 2 mai a apporté de l'eau au moulin des « ayatollahs » de la monnaie : ils auront beau jeu de s'appuyer sur cet épisode pour affirmer que dès que les politiques se mêlent de politique monétaire, ceux-ci défendent des intérêts nationaux, ne respectent pas les règles du jeu, et finassent perpétuellement. Le président de la République a certes bien fait de s'indigner du putsch fomenté par le tandem Tietmeyer-Duisenberg. Mais il fallait bloquer tout de suite la manœuvre. Et au lieu de pousser Jean-Claude Trichet, il aurait été beaucoup plus cohérent et européen de proposer la nomination d'un politique de bon calibre, sans faire une fixation sur sa nationalité.