Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Trichet-Duisenberg : deux prétendants pour une banque

L'histoire retiendra le 2 mai 1998 comme une des dates capitales pour l'Europe. À Bruxelles, dix ans après l'ouverture du chantier de la monnaie unique, les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'Union européenne ont officiellement lancé l'euro. Ils ont sélectionné les onze pays pouvant prendre le « premier wagon » de l'union monétaire ; ils ont décidé de la parité des monnaies ; ils ont, enfin, mis en place la Banque centrale européenne (BCE) et nomme son président, le Néerlandais Wim Duisenberg.

L'histoire, en revanche, oubliera sans doute les péripéties ridicules mais éprouvantes qui ont marqué cette journée, « un des moments les plus difficile de la construction européenne », de l'aveu même du chancelier allemand Helmut Kohl. Les Quinze, sous la présidence du Britannique Tony Blair – l'Union européenne est présidée à tour de rôle par chacun des pays pendant un semestre –, ont donné d'eux un triste spectacle, se chamaillant pendant près de onze heures sur le nom de celui qui présiderait la Banque centrale européenne (BCE).

Soutenus par l'Allemagne et par la plupart des autres pays, les Pays-Bas poussaient Wim Duisenberg, soixante-deux ans. Doyen des banquiers centraux en Europe, ancien ministre travailliste, Duisenberg présidait alors l'Institut monétaire européen (IME), l'embryon de la BCE. Mais les Français, eux, défendaient leur propre candidat, le gouverneur de la Banque de France Jean-Claude Trichet, et n'en démordaient pas. Face au blocage, chacun comprit qu'il fallait couper la poire en deux : M. Duisenberg ne ferait qu'un demi-mandat (quatre ans, jusqu'à l'introduction des billets en euro) avant de céder la place à M. Trichet. Mais il était indispensable d'y mettre les formes : d'une part, parce que, selon la lettre du traité de Maastricht, le mandat du président de la Banque centrale européenne est de huit ans ; d'autre part, parce que l'on était à quelques jours des élections législatives néerlandaises : le gouvernement de Wim Kok ne pouvait perdre la face à Bruxelles. Après onze heures de discussions brouillonnes et tendues, les Quinze ont fini, vers minuit, par trouver une formule boiteuse et hypocrite.

Un compromis boiteux et hypocrite

Les apparences sont sauves : Wim Duisenberg est nommé pour huit ans. Mais ce dernier, « de lui-même », a indiqué qu'il se retirerait à mi-parcours. M. Duisenberg, qui craignait que, faute d'accord, on finit par chercher un troisième homme de compromis, a accepté d'en passer par un « engagement spontané » plutôt humiliant : dans une ambiance un peu soviétique, il a donc lu une courte adresse aux chefs d'État et de gouvernement : « Compte tenu de mon âge, je ne désire pas aller jusqu'au terme du mandat [...] c'est ma décision et ma décision seule, je l'ai prise de mon plein gré, et non sous pression de quiconque ».

La France, de son côté, a obtenu non seulement qu'un Français seconde M. Duisenberg pendant quatre ans – Christian Noyer a été nommé vice-président –, mais aussi qu'un autre lui succède pour un mandat plein : ce sera en toute logique M. Trichet. Lorsque J. Chirac, devant la presse, a tenté de décrire ce compromis hypocrite, la salle a éclaté de rire. « Ne riez pas ! », a déclaré le Président, phrase qui l'a suivi. Il faut dire que Jacques Chirac, en s'arc-boutant sur la candidature française, est un peu à l'origine de cette pantalonnade du 2 mai.

La candidature de Wim Duisenberg

L'histoire a commencé près de deux ans auparavant. À Francfort, le 13 mai 1996, les banquiers centraux européens dînent ensemble. Le baron Alexandre Lamfalussy, un Belge qui préside alors l'Institut monétaire européen (IME), annonce qu'il compte écourter son mandat. Chacun sait bien que celui qui le remplacera sera le mieux placé pour prendre la présidence de la future BCE.

M. Duisenberg se porte candidat, ce qui paraît à tous très naturel. En effet, Hans Tietmeyer, le puissant patron de la banque centrale allemande, la Bundesbank, le soutient. M. Trichet se tait. L'annonce de ce choix est faite le lendemain, et les banquiers centraux font du même coup comprendre que M. Duisenberg est leur poulain pour la future Banque centrale européenne. Le gouvernement allemand a été mis dans la confidence.