Titanic, les métaphores de James Cameron

Le succès artistique et commercial du film de James Cameron Titanic provient d'une série de contradictions articulées avec brio et finement dialectisées. Le cinéaste a mis à contribution les éléments de pointe de la technologie contemporaine pour traduire le plus grand échec technique du début du siècle ; il a investi plus de 200 millions de dollars pour pointer, à travers une très prenante histoire d'amour, les préjugés de classes qui étoffent la tragédie – dont le bilan s'élève à 1500 morts (sur 2 200 passagers) –, d'une réflexion sur la crise des valeurs à l'ère de la bourgeoisie « édouardienne ». Le souci d'exactitude qui a sous-tendu le projet contribue à créer, paradoxalement, un film très fluide, antiacadémique, qui a su réinventer les codes du film historique tombés en désuétude depuis trente ans.

De la science-fiction au Titanic

James Cameron, rénovateur avec John McTiernan (Predator 1987) du film d'action contemporain, est obsédé depuis sa première œuvre personnelle, Terminator (1984), par les implications multiformes de la technologie sur le devenir de l'humanité. Il a concrétisé ses craintes à travers quatre fables de science-fiction, genre qui se prête le mieux à ce type de spéculation : Terminator et sa suite, Terminator 2 (1991), Aliens, le retour (1986) et Abyss (1989) ; il est intéressant de noter que les deux derniers opus mettent en scène des vaisseaux spatiaux et maritimes en danger ou échoués. Les Terminator développent une fiction cyclique qui présente l'avenir technologique sous son aspect le plus pessimiste. Le point de départ est Los Angeles en 2029. À cette date, le réseau robotique Skynet qui contrôle le monde envoie deux « terminators » (homme mâtiné de métal dans le premier, une machine dans le second), l'un en 1984 pour tuer Sarah Connor, future mère de John, le chef de la résistance aux robots-dictateurs, et l'autre dix ans plus tard pour éliminer, au cas où le premier émissaire aurait échoué, John enfant. Les deux autres films sont moins négativement prémédités, laissant une certaine place à l'aléatoire. Aliens, le retour est une suite du film de Ridley Scott Alien (1979), qui nous montre la lutte de l'officier de l'espace Ellen Ripley contre des extraterrestres à l'intérieur d'un vaisseau spatial en perdition. Quant à Abyss, il se présente comme une sorte de post-Titanic à coloration fantastique : un sous-marin atomique est envoyé au fond de la mer par une force mystérieuse. Des foreurs et des soldats partis en mission découvriront cette force.

Peu de temps avant qu'Abyss ne soit achevé, le docteur Robert Ballard localise enfin (en 1985) l'épave du « Titanic » gisant par près de 3 800 m de fond. En voyant des images de l'épave, Cameron songe à en faire un film. Contrairement à la tétralogie cinématographique déclinée plus haut, le matériau ici est bien réel : le Titanic est devenu un mythe social ; il écornera la confiance absolue dans la science naissante qu'avaient beaucoup de personnes au tournant du siècle, et ouvrira, avec l'arrivée de la Première Guerre mondiale, une époque de scepticisme et de méfiance, état d'esprit qui nourrira toute une tradition de littérature et de cinéma de science-fiction.

Déclaration d'intention

« 10 avril 1912. Les deux dernières décennies ont permis d'assister à une cascade de miracles technologiques, et nombreux sont ceux qui voient déjà se prolonger à l'infini cette spirale de progrès. Quelle plus belle démonstration de la maîtrise de l'homme sur la nature que le lancement du Titanic, le plus grand et le plus luxueux navire de notre histoire ? Mais, quatre jours et demi plus tard, tout s'écroule. Le voyage inaugural du Vaisseau de rêve » s'est achevé en un cauchemar qui dépasse l'entendement ; la foi de l'homme en sa propre puissance a été à jamais détruite par des défauts qui n'appartiennent qu'à lui : arrogance, complaisance, avidité. En faisant ce film, je n'ai pas seulement tenté d'illustrer la mort tragique de ce bateau tristement légendaire, mais aussi sa brève et glorieuse existence ; de capter la beauté, l'exubérance, l'optimisme et les espoirs dont étaient porteurs le Titanic, ses passagers et son équipage ; de dévoiler les carences humaines sous-jacentes à cette tragédie tout en célébrant le pouvoir illimité de l'esprit humain. Car Titanic n'est pas seulement un avertissement, un mythe, une parabole, une métaphore sur les maux de l'humanité. C'est aussi une histoire de foi, de courage, de sacrifice et, surtout, une histoire d'amour. » (extrait du dossier de presse français).

Cameron en personnage de sa saga

En retournant aux sources, James Cameron élabore un produit apparemment très différent de ses autres créations. Titanic essaiera d'être le plus fidèle possible à son modèle de 1912 et aux mœurs de l'époque. Ce film apparemment différent des autres, où la technologie la plus avancée contribue à effacer ses traces à l'écran, illustre cependant à merveille la thématique lancinante qui taraude le cinéma de Cameron : l'impossible quête des origines. Cameron fera lui-même ici l'odyssée épique dévolue à ses personnages dans ses précédents films, prétextant qu'il ne pourrait saisir l'esprit du Titanic et de son temps sans le connaître et le filmer personnellement. Il n'existe que cinq sous-marins dans le monde qui peuvent descendre à près de 4 000 m de fond. Le navire russe Akademik-Mstislav-Keldysh en possède deux. Cameron persuade l'Institut Shirshov de les lui louer. Le metteur en scène dispose d'une caméra 35 mm spécialement conçue pour l'occasion et placée dans une boîte en titane qui peut résister à l'énorme pression des grands fonds. Il dispose aussi d'un ROV, une variété de machine-robot articulée et équipée d'une caméra vidéo qui peut se glisser à l'intérieur de l'épave.