La quatrième partie traite de « l'antisémitisme nazi et la Shoah ». Elle indique que la Shoah est le fruit d'un « régime moderne [...] néo-paganiste ». Son « antisémitisme a des racines en dehors du christianisme ». Mais le texte n'exclut pas la possibilité que « la persécution nazie des juifs » ait été « facilitée » par les « préjugés enracinés » dans des « cœurs chrétiens ». Il déplore la fermeture des frontières à l'émigration juive faite par des gouvernements de pays de tradition chrétienne et le fait que si « beaucoup de chrétiens » (le pape Pie XII est explicitement cité) portèrent secours aux juifs persécutés, tous ne le firent pas. Pour « cette lourde charge de conscience », l'Église catholique lance « un appel à la repentance », « répudie toute persécution » et « condamne absolument toutes les formes de génocide » et « les idéologies racistes qui les suscitent ».

La dernière partie du texte appelle à « un futur commun ». Les Juifs sont les « frères aînés » des chrétiens et l'Église catholique doit entretenir « une nouvelle relation avec le peuple juif », fondée sur « un respect mutuel partagé » entre tous ceux qui ont Abraham comme « père commun dans la foi ».

Les réactions au document pontifical

Ce texte a suscité des réactions réservées des responsables de communautés juives, pour deux raisons principales. D'abord, le document romain se situe quelque peu en retrait des déclarations des évêques allemands et français. Les premiers (janv. 1995) reconnaissaient qu'en dépit « du comportement exemplaire » de certains catholiques, leur communauté ecclésiale avait trop souvent « tourné le dos au destin du peuple juif persécuté ». Les seconds affirmaient (sept. 1997) que, par leur silence, « trop de pasteurs de l'Église ont offensé l'Église elle-même et sa mission [...]. Nous confessons que ce silence fut une faute. » Le texte pontifical a une formulation moins nette, sans doute parce qu'il engage l'Église catholique dans son ensemble. Ensuite, le manque d'explication sur l'attitude de Pie XII pendant la guerre et, notamment, lors des rafles de juifs romains en 1943 (le pape ordonna de cacher les juifs dans les couvents mais ne s'exprima pas publiquement) se trouve critiqué. Des dirigeants juifs souhaiteraient un désaveu, bien difficile à émettre dans la logique propre de l'Église catholique.

Au-delà de ces réactions, trois remarques peuvent être faites. La première concerne le rapport entre l'antijudaïsme de type religieux et l'antisémitisme de type racial ; Émile Poulat a souligné que, contrairement à ce que suggère le texte, des catholiques de la fin du xixe siècle (et notamment le quotidien la Croix, oui se revendiquait alors comme « le journal le plus antisémite de France ») ont effectué le passage de l'un à l'autre. La seconde remarque porte sur le désaccord fondamental qui sépare juifs et catholiques : pour ces derniers, le christianisme est l'accomplissement du judaïsme et l'Église apparaît désormais détentrice des promesses faites dans la Bible au peuple hébreu. L'affaire du carmel d'Auschwitz et la béatification en 1987 d'Edith Stein, juive convertie au catholicisme, morte dans ce camp, montrent que cette divergence est source de difficultés récurrentes.

Enfin, troisième remarque, le document est aussi une nouvelle pièce au dossier des rapports conflictuels entre Jean-Paul II et la modernité. Un passage du texte n'a pas été assez commenté : il replace la Shoah dans la liste des génocides et des massacres de ce siècle dont eurent à souffrir les Arméniens, les Ukrainiens des années 1930, les Gitans ainsi que les « millions de victimes de l'idéologie totalitaire en Union soviétique, en Chine, au Cambodge et ailleurs ».

En demandant aux catholiques de se repentir et d'examiner « la responsabilité qu'ils ont eux aussi dans les démons de notre époque », le pape entend rendre son Église mieux apte à combattre de tels « démons ».

Jean Baubérot

Nostra Aetate

À Vatican II, la déclaration Nostra Aetate affirme : « L'Église, attentive à son patrimoine commun avec les juifs et poussée par l'amour spirituel de l'Évangile et non par des considérations politiques, regrette vivement la haine, les persécutions et les manifestations d'antisémitisme dirigées contre les Juifs en tout temps et de toute source. » Cette reconnaissance du lien entre judaïsme et christianisme, cette condamnation de l'antisémitisme aboutissait à une décision importante : la suppression dans la liturgie pascale de tournures telles que « juifs perfides » et « peuple déicide » qui alimentaient ce que Jules Isaac, le pionnier de l'amitié judéo-chrétienne, a nommé « l'enseignement du mépris ». Ce passage du mépris à l'estime s'est marqué de plusieurs manières depuis les débuts au pontificat de Jean-Paul II. Il a visité Auschwitz (1979), Mauthausen (1988), Majdanek (1991), manifestant une vive sympathie envers les victimes des camps de concentration. Le 13 avril 1986, il visitait la synagogue de Rome et dénonçait « la haine, les persécutions, les manifestations d'antisémitisme, commises quelle que soit l'époque et par quiconque ». Le « quiconque » avait été souligné car il pouvait inclure des catholiques. Far ailleurs, souhaitant se rendre à Jérusalem, le pape avait franchi un pas significatif dans le conflit complexe du Moyen-Orient en établissant, en janvier 1993, des relations diplomatiques avec l'État d'Israël.