À la fin de 1997. Dolly le clone eut l'âge de procréer. Nouveau suspense : pour confirmer le succès de leur expérience, les chercheurs devaient s'assurer que l'animal était capable de mener une gestation à son terme... L'objectif fut atteint au printemps 1998, durant lequel Dolly mit au monde un petit agneau en parfaite santé. Et conçu, cette fois, par les méthodes naturelles...

La preuve en est donc faite : le premier mammifère clone à partir d'une cellule prélevée sur un organisme adulte ne présente apparemment aucune anomalie. Qu'en serait-il chez l'homme ? Bien que fermement opposé au clonage de notre propre espèce, Ian Wilmut lui-même, le « père » de Dolly au Roslin Institute, a toujours été catégorique : « Techniquement, rien ne s'oppose à ce que la méthode par laquelle est née Dolly soit appliquée aux êtres humains. » En annonçant, en juillet 1998, avoir réussi à cloner des lignées de souris à partir de cellules adultes, une équipe américaine a confirmé que cette performance pourrait sans doute, dans un avenir proche, être reproduite sur un nombre croissant de mammifères. Et donc sur l'homme.

Les chercheurs oseront-ils franchir le pas ? Malgré les recommandations des comités d'éthique, tout incline à le laisser penser. Dans une certaine mesure, certains l'ont d'ailleurs déjà fait. En 1993, en effet, des ébauches de clones humains avaient été produites dans un laboratoire américain. Mais il s'agissait alors d'une forme rudimentaire de clonage, dite « par clivage embryonnaire », déjà utilisée depuis plusieurs années chez les bovins. Les chercheurs de l'université George-Washington, qui l'ont reproduite chez l'homme, ont procédé en trois étapes. Après avoir coupé en plusieurs éléments un embryon obtenu par fécondation in vitro, ils sont parvenus à faire redémarrer le développement embryonnaire de chacun de ces éléments grâce à un milieu de culture adéquat.

Réimplantés dans un utérus maternel, certains de ces embryons reconstitués auraient peut-être poursuivi leur croissance. Les chercheurs ne leur en laissèrent toutefois pas l'occasion, préférant les détruire une fois leur expérience terminée.

... au « Meilleur des mondes »

Si le clonage par clivage embryonnaire soulève déjà nombre de questions (quelques semaines après l'annonce de cette performance scientifique, un sondage réalisé par Time et CNN révélait que 77 % des Américains étaient hostiles au clonage humain), la possibilité de cloner un être humain à partir d'une cellule adulte ouvre une perspective autrement vertigineuse : celle de se dupliquer à volonté, en dehors du processus naturel de la reproduction sexuée. D'où l'intense choc émotionnel, plus fort encore qu'en 1993, qui suivit l'annonce de la naissance de la petite agnelle. « Dolly est l'affaire de l'année, voire de la décennie, peut-être même du siècle. Son existence suggère que nous pouvons contrôler le destin biologique des humains », écrivait alors le Washington Post. « Peut-être qu'au fond de nos angoisses morales sommeille une déception. Nous serions déçus qu'un individu puisse si facilement en engendrer un second. Déçus qu'il y ait si peu de résistance quand la technique et l'économie font fi de la singularité des êtres vivants [...] Copernic a chassé l'homme du cœur de l'univers, et Darwin, du sein de la nature. La procréatique s'apprête à expulser l'homme de lui-même », renchérissait le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Et à le transformer tout à la fois en Frankenstein, Faust et Prométhée.

« Si nous sommes hantes par toutes ces références mythologiques, mythiques ou de science-fiction, ce n'est pas par hasard. Nous sommes très probablement à proximité du point de non-retour », estime le généticien français Axel Kahn. Le « Meilleur des mondes » est-il pour autant en passe d'être réalisable ? Dans le Centre d'incubation et de conditionnement imaginé par Aldous Huxley, il ne serait plus alors nécessaire de plonger les ovules dans un « bouillon chaud de spermatozoïdes », ni de recourir à la « bokanovskification » pour que les embryons issus de cette cuisine deviennent des clones humains identiques. Il suffirait de fusionner avec un ovule énucléé n'importe quelle cellule prélevée sur n'importe quel membre de la caste adéquate, Gamma, Delta ou Epsilon, puis de faire se développer l'embryon dans une mère porteuse. À un détail près, mais il est de taille : les chercheurs du Roslin Institute ont dû effectuer 277 tentatives pour obtenir une seule Dolly. Et si plusieurs laboratoires ont depuis lors reproduit l'expérience (sur des ovins comme sur des bovins), leur taux de réussite est toujours resté extrêmement bas.