En France, comme ailleurs, Mai 68 est avant tout la révolte de la jeunesse. Non celle d'une classe sociale, même si les étudiants donnent le ton. Une jeunesse désenchantée par le monde tel qu'il est : trop mercantile, trop bureaucratique, trop dénué de sens à ses yeux. Elle : en a assez d'une société trop paternaliste et si convenue.

Résultat : les revendications libertaires, romantiques, communautaires prennent le pas sur les objectifs purement politiques. « Même quand nous tenions la rue, il ne vint jamais à l'idée d'un seul d'entre nous de marcher sur l'Assemblée nationale ou de prendre l'Élysée », écrit Bernard Guetta, acteur de Mai 68.

Il s'agit, pour la jeunesse, de briser le carcan de la société. De lutter contre toutes les formes de discrimination (entre les classes, les sexes, les races...) et d'exercice autoritaire du pouvoir (à l'école, dans la famille, dans l'entreprise, dans l'État...).

C'est également un mouvement de protestation contre le puritanisme répressif de la société et contre la solitude de masse engendrée par l'accélération de l'urbanisation.

Les grands slogans

Slogans et affiches ont exprimé plus que de longs discours les revendications des manifestants de Mai 68. Florilège.

« Sous les pavés, la plage »

« Élections, piège à cons »

« La police à l'ORTF, c'est la police chez vous »

« Je participe, tu participes... ils profitent »

« Seule la vérité est révolutionnaire »

« CRS-SS »

« Il est interdit d'interdire »

« Soyez réalistes, demandez l'impossible »

« Jouissez sans entraves »

« Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes »

« Vous avez voté ? Vivotez ! »

« Achetez plus, ils profitent plus. L'expansion, c'est pour eux ! »

« Nous sommes le pouvoir »

« Les cadences accélèrent le chômage aussi »

« Sois jeune et tais-toi »

« Nous sommes tous indésirables »

« Nous sommes tous des Juifs allemands »

Le bilan de Mai 68

Une fois les gaz lacrymogènes dissipés et les étudiants retournés dans leurs universités, le général Charles de Gaulle, rentré de Baden-Baden, est à l'Élysée. À l'Assemblée nationale, après la dissolution de cette dernière, le chef de l'État, le général de Gaulle, dispose d'une majorité sans précédent – la « Chambre de la peur », dit-on. La gauche, largement dominée par le Parti communiste, n'a pas su être en phase avec la jeunesse.

Le pouvoir tant vilipendé par les manifestants est toujours là. Plus fort que jamais. Il n'a pas été renversé, emporté par ce printemps de folie. Mais était-ce l'objectif des exubérants soixante-huitards ? « Ils ont seulement donné le coup d'envoi d'une métamorphose des esprits et des comportements. Ce n'est déjà pas si mal.

Dans ce pays qui aime tant les révolutions, il fallait en rater une pour que tout changeât... « Le gauchisme, si féru d'éloquence guerrière, resta pour l'essentiel pacifique », écrit le journaliste Laurent Joffrin (Mai 68. Une histoire du mouvement, Points Seuil, 1998).

« En 1789, les Français ont pris la Bastille : en 1968, ils ont pris la parole », affirmait, au lendemain des événements, l'historien et sociologue Michel de Certeau. De fait, le bilan est ailleurs. Et il est significatif.

« Au milieu des années 70, analyse Henri Weber, ancien dirigeant gauchiste en 1968 et, aujourd'hui, sénateur socialiste, la société française est devenue beaucoup plus libérale – au sens politique et culturel du terme –, plus démocratique, plus hédoniste, plus solidaire, plus égalitaire qu'elle ne l'était dans les années 50 ou 60 (Que reste-t-il de Mai 68 ? Points Seuil, 1998).

Les conquêtes de Mai 68

À l'image du Front populaire, toutes proportions gardées bien sûr, Mai 68 a permis la réalisation d'un ensemble de conquêtes sociales. Celles-ci ont modifié la condition ouvrière : mensualisation des salaires, reconnaissance de la section syndicale d'entreprise, augmentation de 35 % (!) du SMIG et de 10 % des salaires, indemnisation totale du chômage, accords contractuels sur la formation permanente.

Mai 68, c'est également le point de départ de toute une série de conquêtes juridiques et politiques, libéralisant les rapports entre les sexes, les générations, les gouvernants et les gouvernés : liberté de la contraception et de l'avortement, autorité parentale conjointe sur les enfants, possibilité pour les femmes d'ouvrir un compte bancaire sans l'autorisation préalable du mari, droit à l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. À cela, il faut ajouter une plus grande autonomie de ce que l'on appelait alors l'ORTF, la reconnaissance des droits des homosexuels, la prise en compte des cultures régionales, le droit de vote à dix-huit ans et une plus grande démocratisation dans les universités.