Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

La droite nationaliste hindoue au pouvoir en Inde

La nomination, le 15 mars, d'Atal Behari Vajpayee au poste de Premier ministre par le président K. R. Narayanam a montré que le Bharatiya Janata Party, dont l'expérience en matière de marchandage politique n'est en rien comparable à celle du parti du Congrès, a réussi à surmonter tous les obstacles sur le chemin du pouvoir.

Du 23 février au 7 mars 1998, les Indiens ont été invités à se rendre aux urnes pour désigner leurs représentants. Il s'agissait d'un scrutin anticipé provoqué par le retrait, en novembre 1997, du soutien parlementaire que le parti du Congrès apportait à la coalition gouvernementale du Front uni – un rassemblement hétéroclite allant des communistes aux socialistes du Janata Dal, en passant par une mosaïque de petites formations régionales.

Lors des dernières élections législatives, au printemps 1996, aucun parti n'avait pu se prévaloir de la majorité. En retirant son appui au Front uni, le parti du Congrès aura sans doute voulu vérifier une tendance récurrente dans l'histoire des consultations électorales en Inde. Jusqu'à présent, lorsque des élections anticipées ont dû être organisées en raison d'un défaut de majorité parlementaire, elles se sont traduites par une victoire du parti du Congrès : Mme Indira Gandhi en 1980 ou Narasimha Rao en 1991 ont bénéficié de cette étrange alchimie électorale. Mais l'histoire aura décidé de mettre des bâtons dans les roues des spéculateurs électoraux, et le scénario attendu ne s'est pas déroulé selon les vœux de ses promoteurs.

De la nécessité du compromis

Il est vrai que les électeurs ne pouvaient guère se rassembler derrière la bannière du parti du Congrès usé par les luttes de factions, les affaires de corruption et la crise de direction dont il souffre depuis la disparition de Rajiv Gandhi en 1991. D'ailleurs, aussitôt qu'il a été clair que des élections anticipées allaient se dérouler, des membres du Congrès ont rejoint par dizaines les rangs du parti du Peuple indien (Bharatiya Janata Party, BJP), la principale formation nationaliste hindoue. Non seulement ces nombreux transfuges ont affaibli le Congrès, mais ils ont souligné son image opportuniste. Le résultat de cette stratégie n'a étonné aucun observateur, et la débâcle attendue était au rendez-vous.

Déjà premier parti de l'Assemblée en 1996 avec 161 sièges, le BJP a donc repris sa marche en avant en obtenant 178 représentants à l'issue du scrutin de 1998. Faute de disposer d'une majorité parlementaire, la droite indienne a dû en passer par le jeu des compromis avec ses principaux alliés.

Aussi, A. B. Vajpayee a dû accepter de diluer quelque peu l'idéologie nationaliste hindoue, en revenant sur trois des principales promesses électorales du BJP : la construction d'un temple sur les décombres de la mosquée d'Ayodhya (détruite en 1992) ; le vote d'un Code civil uniforme destiné essentiellement à abolir la charia comme source de droit personnel pour les musulmans ; l'abrogation de l'article 370 de la Constitution, qui confère à l'État de Jammu-et-Cachemire une autonomie que les nationalistes hindous considèrent comme le terreau du mouvement séparatiste.

Le BJP ayant fait de la stabilité le principal argument de sa campagne électorale, la nécessité d'en passer par un compromis avec des alliés ne va pas sans poser un problème de cohérence, voire de cohésion au sein même de la droite hindouiste. En revanche, certains estiment qu'il y a lieu de se féliciter de ce que le BJP ait besoin d'alliés aux voix dissonantes et qu'il ne puisse donc pas appliquer son programme. Quoi qu'il en soit, A. B. Vajpayee a montré qu'il cultivait le pragmatisme avec une certaine efficacité quand il s'est agi de rassurer la frange la plus radicale des cadres du BJP, dont nombre d'entre eux ont été nommés à la tête d'entreprises publiques, d'universités ou d'ambassades.

Attendu sur le terrain de la politique économique, le nouveau Premier ministre a montré qu'en la matière il savait, aussi, faire preuve de pragmatisme, s'employant, notamment, à rassurer les investisseurs étrangers, effrayés par le protectionnisme traditionnel des nationalistes hindous. De même, il s'est empressé de faciliter l'entrée en Inde de biens de consommation occidentaux, dont la classe moyenne est de plus en plus avide. Ces premières décisions sont déjà bien loin du programme économique du BJP, qui prévoyait de mettre un terme à la libéralisation des marchés et de freiner les investissements étrangers.

Statu quo diplomatique

Sur le plan de la politique étrangère, la nouvelle équipe a ponctué son arrivée au pouvoir avec des essais nucléaires, auxquels le Pakistan a rapidement répliqué. En prolongeant par cette démonstration de force la politique de tension qui préside à leurs relations, New Delhi et Islamabad ont donné l'impression d'être revenues à la case départ – le Premier ministre sortant, Inder Kumar Gujral, s'était employé à renouer le dialogue avec le Pakistan. Rappelons que dans son manifeste électoral, le BJP maintient que l'ensemble du Cachemire appartient à l'Inde. Mais, sauf à connaître une situation tendue à l'intérieur, qui l'obligerait à utiliser la question du Cachemire pour détourner une partie de l'attention publique vers un problème de politique extérieure, le BJP devrait, là aussi, s'en tenir à un pragmatisme prudent.