La crise irakienne

En novembre, il semblait que les ingrédients qui avaient été à l'origine de la guerre du Golfe étaient de nouveau réunis : coup de poker de Saddam Hussein, cette fois sur le tapis onusien – soit un pavé dans le jardin américain –, raidissement du Conseil de sécurité, rhétorique musclée des États-Unis. Mais il est apparu très vite que la Maison-Blanche peinait à enrôler les alliés d'hier dans un conflit contre un pays littéralement mis à genoux par un blocus dont la population civile est la seule victime.

En mai 1996, le Conseil de sécurité de l'ONU avait adopté la résolution 986 (dite « pétrole contre nourriture ») qui devait permettre à Bagdad d'exporter 2 milliards de dollars de pétrole tous les six mois pour acquérir des vivres et des médicaments. On se souvient que le cours des événements – notamment l'intervention des chars irakiens dans le Kurdistan, au nord du pays – avait une première fois retardé l'entrée en vigueur de la résolution 986. Finalement, en novembre 1996, Saddam Hussein avait fini par accepter « toutes les conditions » du Conseil de sécurité de l'ONU. Un an plus tard, pourtant, l'Irak, attendant toujours que soient distribués la nourriture et les médicaments, engageait l'épreuve de force avec l'ONU, c'est-à-dire avec les États-Unis.

Détermination irakienne contre résolution onusienne

Le 27 octobre, le Parlement irakien, exigeant que le blocus auquel est soumis le pays depuis la guerre du Golfe soit levé dans un délai « précis et rapproché », recommandait le gel des relations avec l'Unscom. Le 30, trois experts américains de l'Unscom étaient refoulés, le gouvernement irakien se déclarant prêt à s'opposer par les armes à une éventuelle riposte de Washington. Le 1er novembre, le Conseil de sécurité de l'ONU, qui, quelques jours plus tôt, évoquait « des conséquences graves », repoussait l'idée d'employer la force contre l'Irak et préconisait l'envoi de trois émissaires à Bagdad. Une proposition acceptée par l'Irak sous réserve que les émissaires en question ne fussent pas américains. Et, pour appuyer sa détermination, Saddam Hussein prévenait qu'il ferait abattre tout appareil des États-Unis en mission de reconnaissance dans le ciel irakien. À la détermination de Bagdad, les États-Unis répliquaient par un déploiement de forces impressionnant : le porte-avions George-Washington avec dix-sept navires de la VIe flotte quittait la Méditerranée pour rejoindre les eaux du Golfe, tandis que 50 chasseurs, des bombardiers furtifs et des bombardiers B 52 étaient placés en état d'alerte sur la base turque d'Incirlik. Toutefois, il apparaissait alors que la réaction de la Maison-Blanche s'écartait singulièrement du cadre des résolutions de l'ONU : en effet, Bill Clinton venait de déclarer que l'Irak resterait soumis au blocus tant que S. Hussein serait au pouvoir. Rappelons qu'aucune résolution onusienne n'a jamais conditionné la fin du blocus au départ du numéro un irakien. De son côté, ce dernier rassemblait des « volontaires » autour de sites pouvant faire l'objet de bombardements. On connaît la suite. La guerre que l'on pouvait craindre n'a pas eu lieu. Au moment de compter leurs alliés potentiels, les États-Unis se sont retrouvés pour le moins isolés, seule la Grande-Bretagne leur apportant un soutien appuyé. Fait hautement significatif, la Ligue arabe se prononçait contre un recours à la force, de même que la Turquie et les pays de la péninsule arabique. Le fait que même le Koweït se soit désolidarisé de Washington a montré à quel point les États de la région pouvaient craindre une épreuve de force qui, une fois de plus, aurait eu pour conséquence de dresser leur opinion publique contre les États-Unis. La voie était donc ouverte à une solution négociée. Dans la nuit du 19 au 20 novembre, les ministres des Affaires étrangères russe, américain et français, réunis à Genève, faisaient savoir que l'Irak consentait au retour des inspecteurs de l'Unscom, y compris les Américains. De son côté, la Russie s'engageait à « contribuer activement à lever le plus rapidement possible les sanctions » imposées à l'Irak en 1991.

Un poker sans vainqueur ?

Si les événements se sont enchaînés avec une certaine prévisibilité – de la réaction épidermique des États-Unis à la mobilisation d'importants moyens militaires en passant par les « boucliers » humains irakiens –, les motivations de chacun sont assurément plus complexes. Que voulait S. Hussein ? Bill Clinton pouvait-il raisonnablement espérer rééditer le « coup » de la coalition de 1991 ? À plusieurs reprises, la communauté internationale a pu estimer par le passé que la politique extérieure du leader irakien était maladroite – et encore est-ce là un sophisme – ou suicidaire. Les premières analyses se nourrirent de ce constat. En considérant la situation à l'aune de l'épilogue de la crise de novembre 1997, on conviendra que la nuée ne porte pas toujours l'orage.