Combattre la douleur

La volonté de soulager la douleur est désormais à l'ordre du jour. La France s'est fixé un objectif : diminuer de moitié d'ici à l'an 2000 le nombre de malades déclarant souffrir au cours du cancer, du sida ou à la suite d'une intervention chirurgicale.

Notre culture a cessé d'exalter la douleur et son acceptation comme une valeur spirituelle. Mais peut-on enfermer la souffrance dans les limites d'une stricte définition ? Elle renvoie à un vécu avant tout subjectif. Comment traduire ce qui est vécu dans les situations cliniques par ceux qui s'expriment avec difficulté : enfants, sujets âgés, handicapés mentaux ? Comment prendre en compte toute la palette du senti et du ressenti douloureux ? Fréquente, complexe dans ses origines, la douleur liée à un cancer ou au sida préfigure, par exemple, au-delà de sa dimension physique, pour le patient comme pour sa famille, les moments difficiles d'une fin de vie. La combattre avec efficacité est une préoccupation médicale de plus en plus importante. C'est même devenu une véritable exigence éthique.

Les cicatrices de la douleur

Nombre de travaux actuels sont consacrés à l'effet d'une douleur sur un système immature en période ante- ou périnatale. Divers arguments suggèrent l'induction d'une vulnérabilité acquise à la sensation douloureuse lorsque existe une modification structurelle des récepteurs impliqués dans cette sensation. Cela revient, en termes plus accessibles, à envisager qu'un conditionnement douloureux de l'enfance puisse provoquer des douleurs chroniques ultérieurement dans l'existence, sans que le sujet ait, bien sûr, conscience de leur origine. C'est ainsi que 30 à 60 % des patients se plaignant de douleurs abdominales, pelviennes, céphaliques ou lombaires auraient vécu une enfance traumatisante, avec, le plus souvent, sévices sexuels. Cette agression précoce, enfouie dans l'inconscient, serait parfois revécue à l'âge adulte à l'occasion d'un traumatisme générateur de névrose et de douleur chronique.

Une politique consensuelle

La multiplication des recommandations issues de conférences de consensus témoigne de l'exigence de soulager la douleur. S'agissant de la douleur cancéreuse, les recommandations de l'Agence nationale pour le développement de l'information médicale (ANDIM) ont été adressées à l'ensemble des médecins généralistes de France. C'est en 1995 que cet organisme a défini ses « recommandations pour la prise en charge de la douleur du cancer ». Elles stipulent une utilisation graduelle des produits disponibles en les adaptant au degré de la souffrance, un recours accru à l'administration d'opiacés puissants comme la morphine et la précocité de l'intervention thérapeutique, qui doit toujours prévenir la douleur plus que la tarir.

La douleur, notamment chez le patient cancéreux ou sidéen, reste souvent évocatrice d'une progression de l'affection. Elle engendre en elle-même anxiété, dépression, repli sur soi. Cette situation d'angoisse met en branle des mécanismes de défense sur lesquels le thérapeute doit savoir s'appuyer, car il s'agit là de mécanismes adaptatifs : transfert de l'angoisse sur un élément substitutif (agressivité vis-à-vis du corps médical tenu pour responsable du diagnostic, demande successive de divers traitements, etc.). Le médecin doit veiller à écouter attentivement la plainte du patient, à ne pas lui mentir gratuitement, à l'informer et à l'aider ainsi que sa famille à gérer le désinvestissement. Un accompagnement correct pourra lever les mécanismes de défense et installer la relation dans l'authenticité. Il importe d'ailleurs de ne pas mésestimer l'importance de cet accompagnement, pour le patient comme pour ses proches. Le médecin doit y demeurer particulièrement attentif. Il ne doit pas abolir la dynamique psychologique mise en place à la faveur de cette démarche par une prescription inadaptée de psychotropes et d'analgésiques, dont l'accumulation priverait un malade, alors moins conscient, de la possibilité de continuer à s'approprier sa propre existence, en dépit des conséquences de sa maladie.

Toutes les douleurs...

La médecine actuelle apprend à reconnaître des douleurs qui, trop longtemps, sont demeurées sous-estimées, en raison de facteurs culturels mais aussi d'habitudes de soins. La douleur du nourrisson fait l'objet désormais de traitements préventifs et curatifs, négligés pendant des années au prétexte que le bébé était immature neurologiquement. L'enfant était victime de sa petitesse, de son langage rudimentaire et, surtout, de l'absence de sens critique des médecins. Les données récentes de la médecine font justice de cette conception et imposent que toute souffrance natale ou périnatale soit prévenue et combattue par des médicaments adaptés. D'autres types de souffrance physique sont aujourd'hui reconnus et intégrés par la pratique médicale. Un sujet désocialisé, en situation d'extrême précarité, un SDF, par exemple, n'exprime pas sa douleur comme un autre individu. La désocialisation entraîne souvent une dépersonnalisation : même lorsqu'ils ressentent la douleur, les exclus la vivent comme si elle leur était extérieure. Une existence passée dans des conditions rudes, une exposition fréquente au froid, une consommation très importante d'alcool expliquent une certaine diminution des perceptions douloureuses. En fait, le SDF voit sa douleur physique s'inscrire dans une souffrance plus globale, touchant son existence tout entière. S'il n'est pas à cet égard de solution immédiate, il n'en reste pas moins fondamental qu'il bénéficie d'une prise en charge médicale globale et de qualité.

La douleur, du centre spécialisé au domicile

Si la douleur aiguë reste le plus souvent du ressort du généraliste, la douleur chronique relève d'une prise en charge spécialisée. Les structures de lutte contre la douleur ont été hiérarchisées : on distingue désormais des consultations, des unités et des centres. La consultation constitue la première destination des patients souffrant de douleurs chroniques adressés par un médecin de ville. L'unité antidouleur correspond à la présence conjointe d'un plateau technique permettant la réalisation d'actes. Le centre y associe des lits d'hospitalisation. Chacune des régions sanitaires dispose d'un schéma régional de prise en charge de la douleur, lequel organise en réseau les médecins généralistes et les structures hospitalières spécialisées. La loi du 1er février 1995 a fait obligation aux hôpitaux d'inscrire dans le projet d'établissement les moyens de lutter contre la douleur. Le traitement de la douleur s'inscrit donc pleinement dans la démarche de qualité des soins désormais imposée à chaque hôpital. Les résultats de l'évaluation de cette qualité sont pris en compte dans l'accréditation : une démarche de labellisation des centres antidouleur est actuellement en cours.