En annonçant en 1993 l'obtention de ses premiers veaux par « clonage embryonnaire », la direction de l'INRA n'en avait pas moins annoncé la couleur. Son objectif, à terme : « la production d'embryons bovins en grand nombre, sélectionnés pour leurs qualités agronomiques, à un prix compétitif avec celui d'une paillette de semence congelée ». Le clonage à partir d'une cellule somatique pourrait, à cet égard, se révéler plus intéressant encore, puisqu'il permettrait de reproduire en quantités infinies un individu déjà adulte, aux qualités agronomiques parfaitement connues.

Qu'il s'agisse de contrôler la qualité fromagère des laits de vache ou de chèvre, l'hypertrophie musculaire ou l'acidité de la viande de porc, la technique du clonage, associée aux progrès actuellement enregistrés dans la connaissance du génome des animaux d'élevage, laisse ainsi envisager la production de véritables « bêtes de concours », parfaitement adaptées aux besoins de l'homme. Cette perspective ne présente guère qu'un seul risque, mais il est de taille : appauvrir un peu plus la diversité génétique des animaux d'élevage, seule garante de leur survie à long terme.

Au cœur de l'embryogenèse

Sur un plan purement fondamental, le clonage par transfert de noyaux offre une situation idéale pour étudier l'un des aspects les plus mystérieux de la biologie : les mécanismes qui président aux toutes premières étapes du développement de l'œuf. En confrontant le noyau donneur (porteur du programme génétique du futur individu) au cytoplasme d'une autre cellule que l'ovocyte originel, les chercheurs disposent en effet d'un modèle expérimental naguère inconcevable, pour étudier des processus naturels... dont ils ignorent encore presque tout.

Quel est le rôle du cytoplasme au tout début du développement embryonnaire ? Comment les cellules originelles, au départ toutes identiques (totipotentes), deviennent-elles progressivement des cellules du foie, du pied ou de la peau – autrement dit des cellules spécialisées ? Et, dans ces cellules (qui, toutes, conservent l'intégralité de leur patrimoine génétique), quels sont les mécanismes qui président à l'expression ou à la répression des gènes ? À toutes ces questions, la naissance de Dolly n'a pour le moment apporté qu'une réponse, en forme de nouvelle énigme. Car l'impossible, on l'a vu, est devenu vrai : la cellule différenciée dont elle est issue est redevenue totipotente.

Pourquoi, comment les gènes qui étaient en sommeil dans cette cellule adulte ont-ils été réveillés ? Les chercheurs donneraient cher pour pouvoir le dire. « La voie royale pour savoir si une cellule est capable de se dédifférencier, c'est le clonage », confirmait dès la naissance de Dolly le président français de l'INRA, M. Guy Paillotin, pour qui la réussite du Roslin Institute annonce une nouvelle ère de recherches. Qu'il s'agisse de travaux fondamentaux ou appliqués, une chose est sure : si Dolly est sortie de la boîte de Pandore, elle n'y retournera pas.

Catherine Vincent
journaliste scientifique au Monde