Suisse et Liechtenstein

Tandis que le Liechtenstein, admis en 1995 dans l'EEE, conserve avec sa grande voisine des liens privilégiés, la Suisse reprend en 1996 de laborieuses négociations avec l'Union européenne. La crise entraîne un effritement du consensus, fondement du système helvétique. Depuis le second semestre de 1995, la Suisse est entrée en récession économique : la dépression n'épargne que les secteurs industriels et financiers largement tournés vers l'extérieur.

Suisse : la récession

Si, pour l'ensemble de 1995, la croissance du PIB suisse a été pratiquement nulle (+ 0,1 %), les prévisions pour 1996 annoncent un net recul (de 0,5 à 0,8 %). La chute de certains secteurs (construction, industrie des machines, hôtellerie) s'accentue. Cette récession globale, qui place les performances suisses en queue des pays de l'OCDE, n'en rend que plus remarquable la réussite des grandes multinationales helvétiques comme Nestlé (+ 20 % de bénéfice au 1er semestre de 1996) ou les groupes de la chimie bâloise. Début mars, deux d'entre eux, Ciba-Geigy et Sandoz, ont décidé de fusionner, constituant l'ensemble Novartis, deuxième producteur pharmaceutique mondial. Dans le domaine agricole, où le malaise persiste, à la suite de l'abandon progressif du système d'encadrement et de subvention longtemps appliqué, un nouvel article constitutionnel, approuvé massivement le 9 juin, établit le principe de paiements directs compensatoires en faveur des producteurs respectueux de l'environnement. L'inquiétude des éleveurs est renforcée par la décision d'abattre 230 000 bovins, soit un tiers du cheptel suisse, pour cause de maladie de la « vache folle ».

Résistance de la place financière

Le secteur financier, en rénovation, affirme sa solidité. Le franc suisse, en repli depuis mars par rapport au dollar américain et au Mark, reste une monnaie-refuge encore surévaluée. La Banque nationale suisse, en dépit d'un taux annuel d'inflation tombé à 0,6 % en août 1996, maintient sa politique de rigueur et n'accepte de l'infléchir qu'à la fin de septembre en abaissant son taux d'escompte de 1,5 à 1 %. Les établissements bancaires poursuivent une restructuration qui touche surtout les banques cantonales et régionales. Les succès proviennent essentiellement des implantations à l'étranger en matière de gestion de fortune (City londonienne, marché luxembourgeois de fonds de placement). Les principales banques suisses connaissent au 1er semestre 1996 de fortes hausses de leurs bénéfices.

Le compromis social menacé

Fusions et restructurations entraînent des licenciements (3 500 prévus pour Novartis, près de 9 000 pour les grandes banques) qui alourdissent la situation. Le nombre des emplois diminue et le taux du chômage s'élève à 4,6 % en septembre 1996 ; il gravite toutefois autour de 7 % dans les cantons de Vaud et de Genève. La loi révisée sur l'assurance-chômage, appliquée à partir du 1er janvier, relance le débat sur le traitement social de la crise, souhaité par les syndicats, mais contesté par l'Union patronale (juin 1996), qui propose un démantèlement des acquis sociaux et une privatisation partielle de l'assurance. À cette perspective de rupture du compromis social s'ajoute la sensibilité particulière des Suisses romands, qui redoutent le repli de certains centres de décision ou activités vers la Suisse alémanique et la capitale économique de la Confédération, Zurich. Annoncée en avril par Swissair, la suppression de la quasi-totalité des long-courriers au départ de l'aéroport de Genève-Cointrin, suscite, en conséquence, une émotion durable.

Les réformes financières et administratives

Les réformes engagées par les collectivités publiques pour résorber les déficits financiers entraînent, outre l'étude d'une nouvelle péréquation entre Confédération et cantons, la redéfinition des statuts des fonctionnaires, voire l'allégement des structures administratives. Le Conseil fédéral opte en août 1996 pour une baisse de 1,5 % des salaires du personnel des CFF (Chemins de fer fédéraux, en déficit chronique). Il prépare l'autonomie de la Poste pour 1998 et la libéralisation des télécoms. À l'opposé, la loi fédérale créant dix postes de secrétaires d'État, hauts fonctionnaires destinés à décharger les sept membres du gouvernement de leurs obligations purement administratives, est rejetée à la votation du 9 juin 1996, par plus de 60 % des votants.

Les perspectives européennes

Les négociations bilatérales avec l'Union européenne (UE), ouvertes en 1994, sont pratiquement au point mort au début de l'année. Elles progressent quelque peu ensuite. Les deux parties envisagent des engagements échelonnés, dans les domaines de la libre circulation des personnes et des marchandises. Ainsi, d'une part, le contingentement des travailleurs européens en Suisse pourrait-il être abandonné d'ici cinq ans, mais la Suisse disposerait d'un frein si une explosion migratoire était constatée. D'autre part, autorisée à percevoir une redevance sur les véhicules de gros tonnage à partir de 2001, la Confédération pourrait s'ouvrir aux 40 tonnes à partir de 2005. La lenteur et le caractère partiel de cette approche suscitent l'impatience des proeuropéens, alors que l'opposition, dirigée par le conseiller national zurichois Christoph Blocher, propose, par une extension du domaine constitutionnel des interventions populaires, de soumettre tout engagement de négociation européenne à référendum.

La Suisse en Bosnie

En accédant à la présidence de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), la Suisse, représentée par le conseiller fédéral Flavio Cotti, assume depuis le début de 1996 une tâche internationale difficile, spécialement en Bosnie, où elle dirige l'application des accords de Dayton. F. Cotti conduit la préparation des premières élections bosniaques ; une autre personnalité suisse, Gret Haller, joue le rôle de médiatrice pour la question des violations des droits de l'homme. Encouragée en cela par les États-Unis, la Suisse s'apprête, par ailleurs, à rejoindre le Partenariat pour la paix de l'OTAN, institution complémentaire de l'OSCE ; une adhésion présentée comme compatible avec la neutralité, puisque excluant toute entente militaire, et relevant de la compétence formelle du gouvernement fédéral.

Le dossier des « fonds juifs »

Dès avril-mai 1995, à l'occasion du cinquantenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, la question des fonds provenant des victimes du nazisme, en déshérence dans les banques suisses, avait été à nouveau soulevée, à l'initiative de la City londonienne et de la commission sénatoriale américaine, en même temps que celle de l'or nazi, vendu à la Banque nationale suisse pendant la guerre. Après le reversement aux Alliés, en 1946, de 250 millions de francs suisses, le débat prend de l'ampleur en 1996, avec la révélation d'accords secrets, passés en 1949 avec des pays de l'Est et autorisant la Suisse à confisquer des fonds en compensation de nationalisations de biens helvétiques réalisées par les gouvernements communistes. À la contestation par les instances financières suisses des chiffres avancés s'ajoute un conflit d'objectifs et de compétences entre les deux commissions instituées : l'une, mixte (banques suisses et Congrès juif mondial), est présidée par Paul Volcker, ancien dirigeant de la Banque centrale américaine ; l'autre, exclusivement composée d'experts suisses, mise sur pied par le Parlement, est chargée de mettre au clair, dans un délai de trois à cinq ans, le sort de l'or allemand.

Liechtenstein

L'entrée de la principauté, le 1er mai 1995, dans l'Espace économique européen n'entraîne pas d'augmentation sensible de la population étrangère (dont le taux s'élevait déjà à 38,1 % au début de 1996). Toutefois, le gouvernement demande un délai pour l'application de la libre circulation des personnes. Les partis politiques se préparent à l'échéance électorale législative de 1997, et l'opposition soutient un projet de réforme de la Constitution dans le but de réduire à des tâches représentatives le rôle du prince, Hans Adam II, qui partage actuellement la souveraineté avec le peuple.

Jean Rohr