Allemagne

Tout porte à croire que l'Allemagne ne pourra respecter les critères de convergence de Maastricht en 1997. Dans ce contexte, la coalition gouvernementale connaît des flottements dont l'opposition sociale-démocrate ne peut tirer parti, alors que la cohésion sociale d'outre-Rhin semble menacée, à l'Est comme à l'Ouest. Helmut Kohl, quant à lui, peut s'enorgueillir d'avoir battu cette année le record de longévité aux affaires, jusque-là détenu par Konrad Adenauer.

Fléchissement de la croissance

La croissance (1,5 %) a fléchi en 1996, mais l'Allemagne n'a pas connu la récession tant redoutée, la situation restant préoccupante dans les nouveaux Länder de l'Est, où la croissance est insuffisante pour qu'ils rattrapent rapidement le niveau occidental. En moyenne annuelle, 3,95 millions de personnes ont été au chômage en 1996, soit 10,3 % des actifs, mais le taux était, à l'Est, de 15,5 %. La régression constante de la population est-allemande depuis l'unification montre assez la persistance du malaise social dans les nouveaux Länder.

Retour à la politique d'austérité

Alors qu'en janvier le chômage frappe 4,16 millions de personnes – contre 3,85 millions, un an plus tôt –, le syndicat de la métallurgie (IG Metall) propose au patronat un « pacte pour l'emploi » : en échange de la sauvegarde et de la création d'emplois, l'IG Metall se satisferait d'une augmentation modérée des salaires. Le chancelier H. Kohl invite les partenaires sociaux à s'entretenir avec lui le 23 janvier. On peut croire alors que le gouvernement cherche à renouer avec les méthodes de l'« action concertée » mises en place, à la fin des années 60, par le ministre fédéral de l'Économie, Karl Schiller (SPD, social-démocrate). La rencontre aboutit surtout à des déclarations d'intention. Un accord est cependant signé en mars, à Düsseldorf, dans le secteur de l'industrie textile de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Mais l'affaire tourne court, la modération des syndicats en matière de salaire paraissant insuffisante aux employeurs, qui revendiquent, pour les entreprises, des allégements fiscaux et une baisse non moins significative de leurs charges sociales. Le programme d'action gouvernemental en faveur de l'investissement et de l'emploi, qui veut réduire le chômage de moitié, apparaît essentiellement, dès la fin du mois de janvier, comme un programme de compression des dépenses et de limitation des prestations sociales. La rupture est consommée quand le gouvernement limite l'accès aux retraites anticipées, relève l'âge normal de la retraite et présente, fin avril, la version définitive de son programme d'action, unanimement perçu comme un véritable programme d'austérité. L'annonce de la réduction de 20 % du salaire payé pendant les six premières semaines d'une maladie est ressentie comme un affront par les syndicats, car elle porte atteinte à un acquis social et remet en cause les fondements de la politique contractuelle : le paiement intégral du salaire en cas de maladie est en effet garanti par les conventions collectives.

Le ton monte, en mai, entre les partenaires sociaux. Les syndicats, sur la défensive, ont pourtant conclu, les mois précédents, des accords salariaux modérés, y compris dans l'imprimerie où le syndicat IG Medien fait habituellement preuve de combativité. C'est dans la fonction publique que, courant mai, les grèves d'avertissement sont les plus mobilisatrices. Mais, là aussi, les conclusions de la procédure de conciliation qui aboutit en juin sont modérées et la mise à niveau des salaires dans la fonction publique des nouveaux Länder est reportée à plus tard (ils seront à 85 % des salaires occidentaux en 1997). La vague de protestation syndicale est couronnée par une grande manifestation qui rassemble, le 15 juin à Bonn, plus de 35 000 personnes.

Le débat social est doublé, dès le mois de février, d'un conflit larvé entre partenaires de la coalition gouvernementale, la CDU (Union chrétienne-démocrate) et le Parti libéral (FDP). Soucieux de faire un geste à l'égard du Parti libéral, dont l'avenir politique se joue lors des élections régionales du 24 mars, les chrétiens-démocrates se déclarent, dans un premier temps, disposés à réduire puis à supprimer la « contribution solidarité » instaurée en 1991/1992 pour financer l'unification du pays, supprimée en 1993, puis rétablie, contre l'avis des libéraux, en 1995. Cette mesure place le ministre des Finances, Theo Waigel (CSU, Union chrétienne-sociale), dans une position délicate, le fort manque à gagner pour l'État ne pouvant être compensé que par des économies budgétaires ; la mesure n'est, en outre, applicable qu'à la condition que les Länder renoncent à la part de l'impôt sur le chiffre d'affaires que l'État fédéral leur avait concédée en 1994, un projet que les Länder rejettent unanimement. Ceux-ci réagissent de la même façon quand l'État fédéral propose divers transferts de charges en direction de leurs budgets, notamment dans le domaine social. L'Allemagne mène ainsi, en 1996, un débat contradictoire sur la répartition du produit de sa croissance qui va s'amenuisant.

Stabilisation du Parti libéral

Le durcissement du gouvernement chrétien-libéral dans le domaine social ne s'explique pas seulement par les contraintes économiques et budgétaires, son origine est également politique. Au début de l'année, le chancelier propose au Parti social-démocrate (SPD) de mener de concert la lutte contre le chômage, entretenant ainsi l'idée qu'une « grande coalition » CDU/CSU/SPD pourrait être nécessaire. C'est que M. Kohl ne peut exclure, lors des élections régionales de mars, un échec électoral du Parti libéral : depuis 1993, le FDP n'a pratiquement connu que des échecs dans les Länder. Mais, le 24 mars, le FDP progresse dans plusieurs Länder, entrant ou se maintenant dans des coalitions gouvernementales. Le SPD étant le grand perdant de ces scrutins, ces résultats mettent un terme aux spéculations sur un possible effondrement de la coalition gouvernementale à Bonn.

Le SPD affaibli face à la montée des Verts

Deux crises gouvernementales et deux autres scrutins confirment l'affaiblissement du Parti social-démocrate, auquel son nouveau président, Oskar Lafontaine, ne réussit pas à rendre son mordant. En février/mars, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, un conflit oppose, sur la construction d'autoroutes et l'extension d'un aéroport, le SPD aux Verts, qui menacent de quitter la coalition gouvernementale. Les Verts s'inclineront finalement. La crise est plus grave dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, où le ministre social-démocrate de l'Économie compromet la cohésion de la « grande coalition » au pouvoir en cherchant en vain à favoriser un rapprochement entre SPD et PDS (parti du Socialisme démocratique, issu du Parti communiste de RDA). Le refus, le 5 mai, des électeurs du Brandebourg de la fusion de leur Land avec celui de Berlin se retourne contre le SPD brandebourgeois, qui avait mis toute son autorité dans la balance. Le 15 septembre, les élections communales de Basse-Saxe confirment le tassement du SPD. Forts de leurs succès électoraux, les Verts se posent en troisième force politique et proposent au SPD une entente pour la conquête du pouvoir fédéral en 1998. Cette idée séduit les militants du SPD, mais sa direction reste hésitante, une telle stratégie risquant de renforcer la coalition chrétienne-libérale, dirigée par le chancelier Kohl, alors que celle-ci connaît de fortes divisions en automne.

Dissensions dans la coalition chrétienne-libérale

Si, lors de son congrès de Hanovre, en octobre, la CDU adopte un projet de réforme fiscale très voisin de celui du Parti libéral (taux de base inférieur à 20 %, taux maximal réduit de 53 à 35 %, disparition des avantages catégoriels), un profond désaccord les oppose sur la politique budgétaire. La CDU/CSU impose finalement à son partenaire libéral le maintien de la « contribution solidarité » avec les Länder de l'Est en 1997, au taux plein de 7,5 %. La base populaire de la CDU interdit à ses dirigeants d'abandonner l'État social et de ne pas faire progresser l'unification intérieure du pays. Le FDP ne jure lui que par la baisse généralisée de la pression fiscale et tient à montrer à ses électeurs qu'il sait tenir tête au parti chrétien-démocrate, afin de faire oublier son image de parti hésitant entre la CDU et le SPD ou cédant aux moindres pressions de son trop puissant partenaire gouvernemental. Le Parti libéral menace donc d'abandonner la coalition gouvernementale, et le président du FDP de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ancien ministre fédéral de l'Économie, J. W. Möllemann, appelle les 12 députés libéraux de ce Land à ne pas voter le budget 1997. La situation est d'autant plus critique que le ministre des Finances d'Allemagne doit reconnaître que toutes les mesures d'économie déjà prises ne suffiront pas à combler les déficits.

Maastricht envers et contre tout ?

En automne, l'Allemagne apprend qu'en 1997, pas plus qu'en 1996, elle ne satisfera aux critères de Maastricht (déficit budgétaire de 3 % et dette publique de 60 %). Le gouvernement fédéral n'en est pas moins convaincu que l'Union monétaire européenne se fera et qu'il sera possible aux deux pays pivots de l'Union, la France et l'Allemagne, de respecter dans les délais prévus les critères de Maastricht et, au-delà, de mener une politique économique et monétaire convergente garantissant la stabilité de la monnaie européenne. Au sein de la majorité comme de l'opposition, la tentation de jouer sur la corde anti-européenne est cependant grande tout au long de l'année.

Une politique étrangère en quête de ses objectifs

Les réformes proposées en France par le président Jacques Chirac pour le service militaire, l'OTAN et la réduction des programmes d'armement provoquent quelques tensions dans les relations franco-allemandes. La proposition de renforcer l'identité européenne de l'OTAN en donnant à son commandement en Europe un chef européen suscite plus de crainte que d'approbation : si l'Allemagne se félicite de voir la France réintégrer le giron militaire de l'Alliance atlantique, on s'amuse de ses prétentions et l'on redoute que cette proposition ne renforce les tendances isolationnistes des États-Unis. En novembre 1995, une controverse avait accompagné la visite du chancelier Kohl en Chine, avec laquelle l'Allemagne a doublé ses échanges en cinq ans, devenant son quatrième partenaire commercial. Affirmant un point de vue moral, le Parlement fédéral vote, en juin, une résolution sur le Tibet qui provoque l'annulation par la Chine du voyage du ministre fédéral des Affaires étrangères allemandes.