Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

Dernière offensive en date, celle que mène Bercy contre la loi sur les dations. Ce texte, voté en 1968 à la demande d'André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle, autorise des héritiers à s'acquitter de leurs droits de succession ou de mutation en nature, c'est-à-dire en œuvres d'art. Cette loi a permis l'enrichissement sans bourse délier des collections nationales, et en particulier la création du musée Picasso. Le ministère du Budget, pour qui cette loi est synonyme de manque à gagner, a toujours essayé de l'amoindrir. Il essaie avec succès depuis deux ans de restreindre le champ d'application de la loi en imputant, en fin d'année, les montants des dations sur le budget général de la culture, lequel s'en trouve diminué d'autant. Si ces précédents prenaient force de loi, cela aurait pour conséquence de réduire à néant l'œuvre d'André Malraux, au moment même où sa dépouille est transférée en grande pompe au Panthéon.

Jacques Chirac, dont on connaît l'hostilité de principe aux grands travaux présidentiels et, plus largement, à une politique culturelle très marquée par le volontarisme étatique, a néanmoins mis le doigt dans l'engrenage. Il a confié à Jacques Friedmann mission de dessiner un projet pour créer un nouveau musée destiné à abriter les arts d'Afrique, d'Océanie et d'Amérique préhispanique. Cette idée, qui doit se concrétiser dans les premiers mois de 1997, a suscité un débat polémique.

En effet, il est retenu que le noyau de ces collections serait constitué par celles du musée des Arts d'Afrique et d'Océanie (MAAO) et surtout par celles du musée de l'Homme. Comme il était annoncé par ailleurs que le futur musée serait installé dans l'aile Passy du Palais de Chaillot, c'est-à-dire celle qui est précisément occupée par le musée de l'Homme et le musée de la Marine, il était aisé d'en conclure que ce dernier devait trouver une nouvelle adresse et que le premier se fondrait dans la nouvelle institution.

De là des protestations innombrables : l'amiral Le Bellec, patron du musée de la Marine, réclame l'aménagement d'un site avant le transfert. Jean-François Deniau, ancien ministre, député du Cher et académicien, doit trouver un nouvel appontement pour la flottille du Trocadéro. Pendant ce temps, Henry de Lumley, directeur du Muséum d'histoire naturelle (dont fait partie le musée de l'Homme), entre en guerre pour préserver le statu quo.

L'exception créative

Ces débats politico-culturels tendent à reléguer au second plan ce qui est cependant le principal : la création. Dans ce domaine, l'exception culturelle française reste de mise. Elle s'exprime au cinéma avec une particulière vigueur. Face au déferlement devenu habituel des productions hollywoodiennes, tels Independence Day, Seven ou Mission impossible, la création cinématographique française ne capitule pas. Cela va de Le Bonheur est dans le pré, d'Étienne Chatilliez, premier au box-office à Paris, à Pourquoi je me suis disputé (ma vie sexuelle), d'Arnaud Depleschin, et de Encore, de Pascal Bonitzer, à For Ever Mozart, le dernier Jean-Luc Godard. Ces films à la tonalité singulière rencontrent plus facilement un public que ceux qui s'essoufflent à suivre les modèles américains. Le particularisme a parfois des effets moins heureux, comme dans le marché de l'art, où, en dépit de ses réels efforts de renouvellement, la dernière Foire internationale d'art contemporain (FIAC), qui s'est tenue quai Branly en octobre, n'a pas réussi à s'élever au niveau de ses homologues de Bâle ou de Cologne. Pas plus que Paris ne peut rivaliser avec Londres ou New York en matière de ventes aux enchères.

La même remarque pourrait s'appliquer au théâtre si l'on ne retenait de la saison parisienne que le retour à la scène d'Alain Delon, de Jean-Paul Belmondo et de Michel Sardou. Par chance, d'autres salles s'ouvrent aux auteurs allemands, britanniques ou nordiques. Matthias Langhoff crée son Île du salut au Théâtre de la Ville. L'Édouard II de Christopher Marlowe et le Naufrage du Titanic d'Enzenberger ont dominé le Festival d'Avignon. À Bobigny, Klaus Michael Grübber met en scène le Pôle, pièce de Vladimir Nabokov jamais jouée en France. À l'Opéra Bastille, un metteur en scène américain, Francesca Zambello, crée en France Billy Budd, du Britannique Benjamin Britten, d'après le roman d'Herman Melville. Au théâtre du Châtelet, Simon Rattle dirige la Jenufa du Tchèque Leoš Janáček. Contre la montée de l'intolérance, la création se veut plus que jamais indifférente aux frontières.

Philippe Dagen et Emmanuel de Roux
Journalistes au Monde