Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

Mme Wu étudiait le cobalt 60, isotope très radioactif du cobalt, qui émet des électrons en se désintégrant. Après avoir orienté dans une direction précise ses noyaux de cobalt 60, elle entreprit de compter le nombre d'électrons émis dans cette direction et dans la direction opposée. Elle s'attendait, bien sûr, à ce que ces deux nombres soient égaux. Pourquoi le cobalt serait-il droitier ou gaucher et préférerait-il éjecter ses électrons d'un côté plutôt que de l'autre ? La question, quarante ans plus tard, reste posée, car Mme Wu trouva une nette différence entre les deux nombres, ce qui impliquait une violation de la sacro-sainte parité P. « Pour la première fois de l'histoire, écrivit le physicien Richard Feynman, il devenait possible d'expliquer à un extraterrestre la différence entre la droite et la gauche », à condition, toutefois, que celui-ci dispose de cobalt 60 et de la technologie nécessaire pour en orienter les noyaux et en compter les électrons.

L'expérience de Mme Wu violait non seulement la symétrie P, mais aussi – on le montra peu après – la symétrie C. Ce qui n'empêchait nullement la symétrie CP (faisant correspondre à la matière son antimatière vue dans un miroir) de tenir la route. En somme, si la violation de la parité restait une curiosité inexpliquée, elle ne remettait pas totalement en question les théories physiques de l'époque. Statu quo de courte durée : il apparut en 1964 que la symétrie CP, à son tour, était violée lors de certains événements rarissimes entre particules élémentaires. Trente ans plus tard, aucune théorie ne rend compte du phénomène, dont le seul effet positif est d'enrichir le dialogue avec les extraterrestres de Feynman. Il est désormais possible de leur apprendre à distinguer non seulement la gauche de la droite, mais aussi les charges positives des charges négatives, c'est-à-dire la matière de l'antimatière. Une condition indispensable pour éviter les rencontres explosives.

Perspectives

Mais cette étrange violation de symétrie pourrait expliquer la nature « matérielle » de notre univers : l'infime défaut de symétrie du miroir cosmique a peut-être, lors du big-bang. engendré davantage de matière que d'antimatière. Cette dernière devrait donc manifester de subtiles différences par rapport à la matière, ce qui justifie pleinement l'excitation des physiciens devant les premiers antiatomes créés par l'homme. La réponse est attendue dans les prochaines décennies, ce qui laisse amplement le temps de méditer sur cet ultime paradoxe : sans symétrie, pas de physique. Mais, sans asymétrie, pas de physiciens...

Fullerènes couronnés

Un Anglais, Harold Kroto, et deux Américains, Robert Curl et Richard Smalley, se partagent le prix Nobel de chimie 1996 pour leur découverte commune de ballons de football moléculaires. Ces footballènes, ou fullerènes (du nom de l'architecte des dômes géodésiques, Buckminster Fuller), sont des sphères constituées de 60 atomes de carbone disposés aux sommets de pentagones et d'hexagones, selon la même structure que celle du ballon qui déchaîne les foules. C'est sous un faisceau laser, dans un vide poussé et à haute température, que H. Kroto a synthétisé le premier fullerène et testé ses extraordinaires propriétés. L'éventail ouvert par la chimie de ces nouveaux composés apparaît si vaste que les chimistes n'hésitent pas à parler d'une « chimie fabuleuse dont nous n'avons pas encore idée ».

L'Univers dans une goutte d'hélium

La totale convergence entre l'étude de l'infiniment petit, la physique des particules, et celle de l'infiniment grand, la cosmologie, est un événement majeur de la physique de ces dernières décennies. Travaillant dans ce nouveau domaine de l'« astrophysique des particules », une coopération française, anglaise et finlandaise vient de faire un pas décisif en mettant, en quelque sorte, l'Univers dans une éprouvette. Plus précisément, ces savants ont refroidi à quelques millionièmes de degré du zéro absolu (– 273 °C) un petit échantillon d'hélium 3, liquide qui a la propriété d'être « superfluide », c'est-à-dire de s'écouler sans la moindre viscosité. Échauffé localement, l'hélium 3 perd sa superfluidité mais y revient en formant une série de vortex à l'allure de spaghettis, analogues en tout point aux « cordes cosmiques » qui se sont peut-être formées – c'est en tout cas ce qu'avancent les théories cosmologiques les plus récentes – aux tout débuts de l'Univers. Si le vide cosmique des origines exhibe bien les mêmes propriétés physiques que l'hélium 3 superfluide, rien ne s'oppose désormais à ce que la cosmologie fasse l'objet d'expériences de laboratoire...

Un siècle de radioactivité

Il y a exactement cent ans que le physicien Henri Becquerel, tel un nouveau Pandore, ouvrant un tiroir de son bureau où il avait entreposé des sels d'uranium, remarqua que les plaques photographiques qui s'y trouvaient avaient été impressionnées. Le début d'une grande aventure scientifique, technique, médicale et militaire. De l'élucidation du mystérieux rayonnement à la découverte de la radioactivité artificielle, de la médecine nucléaire à Hiroshima, ce phénomène naturel en est venu à bouleverser le xxe siècle. H. Becquerel méritait bien l'hommage qui lui a été scrupuleusement rendu, et auquel a participé l'Américain Glenn Seaborg, héros tout à la fois du projet Manhattan de fabrication de la bombe atomique et de la découverte de nouveaux éléments chimiques. Seaborg, quatre-vingt-trois ans, a en effet trouvé une dizaine de « transuraniens » (plus lourds que l'uranium) – dont le numéro 106, que l'on envisage de baptiser seaborgium –, et a assisté, en tant que conseiller scientifique, plusieurs présidents américains. Jugement sans fioritures : « Kennedy et Johnson se passionnaient pour la science ; ce n'était pas le cas de Nixon et de Reagan. »

J.-M. Lévy-Leblond, Aux contraires, Gallimard, 1996.
« Pour une poignée d'antiatomes », la Recherche, avr. 1996.

Nicolas Witkowski