Ces chiffres exceptionnels, ainsi que le niveau historiquement bas de l'inflation en France depuis plusieurs années, relancent deux débats déjà anciens. Le premier, au sein de la majorité, oppose le gouvernement aux défenseurs d'une politique économique plus volontaire, où l'État soutiendrait plus vigoureusement la consommation, par l'accélération de la réforme fiscale et la réduction prévue de l'impôt sur le revenu, en substituant la cotisation sociale généralisée (CSG, qui porte sur l'ensemble des revenus) aux cotisations sociales sur les salaires. Le second est animé par les critiques de la « pensée unique », qui, depuis le référendum sur le traité de Maastricht à l'automne 1994, accusent les gouvernements de déprécier fortement l'activité, en maintenant, notamment, l'objectif de la limitation des déficits publics à 3 % du PIB en 1997. Cette contrainte empêche le gouvernement de soutenir l'activité et de mettre en œuvre l'un des thèmes de la campagne électorale de 1995 : « La fiche de paie n'est pas l'ennemie de l'emploi. »

La progression du chômage

La faible croissance en 1996 ne permet pas à l'emploi de progresser. On évalue entre 2,5 et 3 % la croissance nécessaire pour stabiliser le chômage : en 1996, l'augmentation de la population active entraîne mécaniquement celle du nombre des demandeurs d'emploi : le nombre des chômeurs dépasse 3,4 millions à la fin de l'année, sans qu'il soit possible d'espérer une décrue importante à court terme. La rigueur budgétaire a entraîné une réduction du budget de la politique de l'emploi : les crédits affectés aux contrats initiative emploi (CIE), thème important du programme électoral du président de la République, sont réduits de 5 milliards de francs ; en revanche, les dispositifs anciens de lutte contre le chômage, comme les CES et les stages, augmentent et contiennent avec peine le chômage. La seule nouveauté dans ce domaine est le programme d'incitation au partage du travail lancé en 1996, dit « amendement Robien ». Mais cette mesure, dont l'impact est difficile à évaluer, est trop récente pour avoir un effet sensible sur le chômage dès 1996.

La politique économique d'Alain Juppé

Le déficit public atteint 288 milliards de francs en 1996 (soit 4,1 % du PIB) et le déficit des finances sociales près de 50 milliards de francs, alors que le plan Juppé d'équilibre des dépenses de santé, adopté en novembre 1995, prévoyait de le limiter à 30 milliards. Salué comme la première tentative de fond de réforme de la Sécurité sociale, ce plan avait cependant contribué à relancer la contestation sociale en décembre 1995. Les effets des réformes structurelles de ce plan ne se font pas sentir en 1996, d'autant plus que leur application est retardée par les pourparlers entre caisses d'assurance-maladie et syndicats de médecins, ainsi que par la négociation d'accords avec les syndicats de pharmaciens pour la diffusion de médicaments génériques moins onéreux. Les mesures conjoncturelles, quant à elles, n'atteignent que partiellement leurs objectifs. Ce volet du plan était du même type que les précédents (plans Séguin en 1986, Veil en 1993) et était destiné à augmenter les prélèvements tout en baissant les remboursements. Les prélèvements devaient augmenter de 40 milliards de francs (instauration de la cotisation RDS, dont le produit devait assurer le remboursement des déficits cumulés des régimes sociaux, fiscalisation de certaines prestations sociales, contribution des professionnels de la santé au financement de la protection sociale). Les dépenses devaient diminuer de 14 milliards de francs (réduction des prestations familiales et contrôle des dépenses de santé). Le contrôle des dépenses de santé ne donnant pas les résultats espérés et le chiffrage du plan étant fondé sur des hypothèses de croissance de la masse salariale trop optimistes, les recettes de cotisations sociales sont moins importantes que prévu. Aussi, ni l'objectif de réduction du déficit pour 1996 ni celui de son annulation en 1997 n'auront pu être tenus, bien que cette réforme, malgré le retard qu'a pris son application, présente à moyen terme un cadre crédible d'évolution du système de protection sociale français.