Les Algériens ont donc voté en masse lors de la présidentielle du 16 novembre. La victoire du général Liamine Zeroual, avec 60 % des voix, ne faisait pas de doute. Le FIS avait condamné le scrutin, qualifié de mascarade, et beaucoup de partis politiques le boycottèrent. Pourtant, la population n'a pas voulu être absente d'une élection qui, même imparfaite, était la première depuis 1962 à lui donner le choix, pour le poste de chef de l'État, entre plusieurs candidats.

Les scrutins se suivent et... s'annulent. Au Québec, c'est bien ce qu'espèrent les indépendantistes. Le « non » à la rupture avec le Canada a gagné de si peu, le 30 octobre, qu'ils parlent déjà d'organiser un autre référendum.

En Pologne, Lech Walesa, vainqueur du communisme avec le syndicat Solidarité, puis président confortablement élu, a été battu le 19 novembre par un communiste reconverti en social-démocrate, Alexandre Kwasniewski. Fatiguée des héros, la Pologne aspirait à une pause dans la course à l'économie de marché. Elle ne veut certes pas du retour au totalitarisme, mais elle garde la nostalgie du « filet de sécurité » de l'ancien régime : plein emploi, petits loyers et prix contrôlés.

Même explication en Russie pour le succès des communistes aux législatives du 17 décembre. Mais, contrairement aux ex-camarades de Varsovie, les apparatchiks de Moscou veulent faire marche arrière. Pour séduire les pauvres, les retraités, les paysans, les militaires honteux de l'enlisement en Tchétchénie, bref, tous les exclus frustrés par l'arrogance des nouveaux riches, Guennadi Ziouganov, le chef du PC, parle de renationaliser les entreprises privées, de rendre son autorité à la police et de rétablir les frontières de l'URSS.

Peut-être fallait-il cet électrochoc ? Aujourd'hui, malade et impopulaire, Boris Eltsine se doit de retrouver demain assez d'énergie pour s'imposer comme le dernier rempart des libertés. Il faut que les démocrates, trop dispersés, s'unissent pour gagner la présidentielle de juin 1996. Le pire des scénarios serait un second tour entre Ziouganov et l'extrémiste de droite Vladimir Jirinovski. Choisir entre le rouge et le brun, quel sinistre alternative pour la Russie et pour l'Europe !

Ophélie et Astérix

Mais, justement, l'Europe est-elle encore un modèle ? Alors même qu'ils préparent l'élargissement vers l'est, les Quinze persistent à se disputer. Malgré les rodomontades des sommets de Cannes, en juin, ou de Madrid, en décembre, plus personne n'est prêt à jurer que la monnaie unique deviendra une réalité à l'aube de l'an 2000. En dépit de la promesse, inscrite dans le traité de Maastricht, d'une politique étrangère commune, les Européens se montrent militairement si faibles et politiquement si divisés que le règlement du conflit yougoslave s'est fait par-dessus leur tête. À l'exemple du Proche-Orient, l'Europe a dû se soumettre à la pax americana.

Il ne reste que la France pour continuer le combat d'Astérix. En décidant, le 13 juin, de reprendre les essais nucléaires, Jacques Chirac s'est attaqué de front aux prêcheurs du « politiquement correct ». La colère de l'Australie, la campagne médiatique de Greenpeace, les votes hostiles à l'ONU, le chahut du Parlement européen ne l'ont pas fait reculer. Se réclamant du général de Gaulle, qui, naguère, avait doté la France de la bombe, au mépris des récriminations de Washington, J. Chirac fait le pari que sa détermination est un investissement pour l'avenir.

Même le magazine américain Time convenait dans un numéro spécial, cet automne, que la France est le seul antidote à un conformisme anglo-saxon en passe de devenir la norme universelle. Citant Jean Giraudoux, le Time se félicitait que la France soit toujours « l'embêteuse du monde ».

Charles Lambroschini
Rédacteur en chef au Figaro