Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Le scandale des écoutes téléphoniques amplifie le discrédit du gouvernement. Les services secrets espagnols du CESID, le Centre supérieur d'information de la défense, sont sur la sellette. Révélée par le quotidien très antigouvernemental El Mundo, cette nouvelle affaire fait l'effet d'une bombe. Outre de très nombreuses personnalités, le roi Juan Carlos en personne aurait vu certaines de ses conversations téléphoniques interceptées et enregistrées. Dénonçant de tels procédés, le chef de l'opposition, José Maria Aznar, déclare « qu'il n'est plus question aujourd'hui de controverses politiques mais d'hygiène démocratique ». Le ministre de la Défense, Julian Garcia Vargas, et Narcis Serra, qui avait été son prédécesseur (également inquiété dans l'affaire des GAL), sont sommés de se justifier devant une commission parlementaire. Ils décident le 28 juin de remettre leur démission. Felipe Gonzalez est contraint de se séparer une nouvelle fois de son vice-Premier ministre, le catalan N. Serra, infatigable travailleur de l'ombre présenté comme son dauphin. Déjà, en janvier 1991, son vice-Premier ministre, Alfonso Guerra, avait dû démissionner. Fragilisé par cette succession ininterrompue de scandales, refusant toutefois de s'offrir en victime expiatoire et de se démettre de ses fonctions, le chef du gouvernement tente de faire face et de reprendre l'initiative en maniant, non sans talent, l'art difficile du funambule.

L'art du funambule et ses limites

« J'ai la conscience parfaitement tranquille, c'est ma grande force [...] J'assume pleinement mes responsabilités et cela me permet de supporter avec un certain calme cette avalanche de basses attaques et d'infamies qui sont publiées chaque jour contre moi ». C'est par ces mots que, le 18 juillet, lors d'un entretien télévisé, Felipe Gonzalez tente d'expliquer sa relative placidité face aux innombrables critiques. Il plaide son honnêteté et son absolue bonne foi, affirmant n'avoir eu vent de ces affaires que par une presse qui ne l'a guère ménagé. Dès le début de l'année, le quotidien El Pais, pourtant proche des socialistes, demande au Premier ministre de prendre ses responsabilités. Quant au quotidien El Mundo, ses critiques acerbes et ses révélations sont incessantes. Enfin, il y a les tertulias, ces « cercles de fiel » qui réunissent quotidiennement sur les ondes les chroniqueurs les plus acharnés contre Felipe Gonzalez.

Harcelé par la presse, le gouvernement cède parfois à la tentation de se disculper en attribuant la révélation de tous ces scandales à une conspiration ourdie par les médias et le juge B. Garzon. Cette attitude n'empêche pas le gouvernement de se retrouver isolé au Parlement. Le 28 mai, les élections locales – municipales et régionales – sont un nouveau revers pour les socialistes. Aux municipales, le PSOE est distancé de près de 5 points par le Partido popular (35,2 % contre 30,8 %). Son échec est encore plus flagrant (44,61 % contre 31,52 %) aux élections organisées le même jour pour le renouvellement de 13 des assemblées des Communautés autonomes sur 17, le PSOE perdant la majorité dans 6 de ces Communautés. Après ces résultats, les principaux alliés du gouvernement au Parlement, les nationalistes catalans de Convergència i Unió (CiU), lui retirent leur soutien. Atteints par la chute de popularité du Premier ministre, ils annoncent à la mi-juillet que la CiU « récupère sa liberté d'action », tout en accordant un sursis au gouvernement pour que celui-ci puisse assumer pleinement la présidence de l'Union européenne et procéder « à une clarification électorale ». Fin octobre, cependant, le Congrès des députés rejette le budget à une très large majorité. Malgré l'engagement pris par Felipe Gonzalez d'organiser des élections législatives anticipées dès le mois de mars 1996, la rupture avec la CiU semble alors définitivement consommée. Il s'agissait d'un budget de rigueur qui voulait combler les déficits publics afin de respecter les critères de convergence européens. La conjoncture économique est certes moins morose (croissance du PIB de près de 3 % et relative stabilisation du chômage), mais elle est assombrie par la reprise des tensions inflationnistes et par la faiblesse persistante de la peseta, une nouvelle fois dévaluée de 7 % le 5 mars 1995. Dans un climat politique aussi délétère, en l'absence d'amélioration sensible de la situation économique et à moins d'un incroyable retournement de situation, les jours paraissent comptés pour le gouvernement de Felipe Gonzalez. Celui qui fut surnommé « le plus charismatique des leaders socialistes européens », maître tacticien et farouche lutteur, n'est jamais aussi pugnace que dans l'adversité. Mais cela risque de ne pas lui suffire malgré une relative embellie en fin d'année, suite au sommet européen réussi de Madrid, les 15 et 16 décembre, et à la nomination d'un de ses proches comme secrétaire général de l'OTAN, son ministre des Affaires étrangères, Javier Solona.