Jonathan Edwards est un champion atypique, auteur d'une performance qui ne l'est pas moins. Le 7 août, à Göteborg, lors des championnats du monde d'athlétisme, le Britannique devient le premier homme à franchir au triple saut la « barrière » des 18 mètres. Sur le sautoir de l'Ullevi Stadium, il bat à deux reprises le record du monde de la spécialité : 18,16 m, puis 18,29 m. « Un saut d'extraterrestre », clameront en chœur les autres compétiteurs, éminents spécialistes en la matière.

Edwards, pourtant, aurait pu passer à côté de cette gloire naissante. Cela n'aurait d'ailleurs rien changé dans la vie de ce chimiste de 29 ans, qui, le soir, de son triomphe de Göteborg, ne s'autorise qu'une partie d'échecs, en guise de décompression festive. Cet extraordinaire champion (dans tous les sens du terme) aurait pu rester à jamais un bon athlète, sans plus, confiné comme tant d'autres dans l'anonymat. Pour plusieurs raisons.

Primo, parce qu'il refuse, au début de sa carrière, de prendre part aux compétitions se tenant le dimanche, jour de toutes les rencontres sportives, certes, mais jour du Seigneur avant tout. Ainsi l'impose la religion baptiste de ce fils de pasteur anglican. Mais en 1992, après avoir manqué pour cause de bigotisme les jeux Olympiques de Séoul et les Championnats du monde de Tokyo, Jonathan Edwards a une vision, dans un rêve. Un message du Tout-Puissant. Edwards rêve d'un sautoir ressemblant à une rue piétonne aux heures de pointe : impossible d'y prendre son élan et de foncer vers la fosse de sable. Un cauchemar, à vrai dire. Un ami joue au Sigmund et interprète ce message divin comme une incitation à courir le dimanche. « Ainsi soit-il », pense Edwards : il concourra le dimanche.

Mais, alors que sa carrière s'apprête à prendre un nouvel élan, un autre obstacle se dresse devant lui. Il contracte le virus d'Epstein-Barr, responsable de la mononucléose. Très affaibli, il ne prend que la 6e place aux Championnats d'Europe d'Helsinki en 1994. À un an des Championnats du monde, personne ne parie sur les chances de Jonathan Edwards, un triple-sauteur dont la meilleure performance n'est alors que de 17,44 m.

En 1995, quatre mois seulement avant le rendez-vous de Göteborg, la Providence va permettre au Britannique de rencontrer Denis Nobles. Entraîneur à l'université de Floride, Nobles dissèque le triple saut d'Edwards et le corrige en le rendant moins explosif et plus fluide. Les deux hommes vont en fait réinventer leur discipline comme Fosbury avait révolutionné le saut en hauteur. L'ange bondissant est le premier à perdre si peu de vitesse dans ses trois sauts. Les progrès sont fulgurants : après trois mois d'entraînement, Jonathan Edwards bat une première fois le record du monde (17,98 m) à Salamanque. Un record vieux de dix ans. La suite de l'histoire est connue : à Göteborg, le Britannique réussira 18,16 m puis 18,29 m.

Il ne manque plus aujourd'hui qu'un titre olympique au fils du pasteur Edwards ; il devrait logiquement le décrocher à Atlanta. Ensuite, il tentera très certainement de concrétiser un vieux rêve : préparer une thèse de théologie.

Fangio au point mort

« Tu te prends pour Fangio ! ? » Privilège rare, le nom du pilote argentin est entré depuis longtemps dans le langage commun. Le 17 juillet 1995, le sport automobile a perdu son plus grand champion. Juan Manuel Fangio est décédé à Buenos Aires, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Son palmarès reste inégalé : cinq titres de champion du monde et 24 victoires en 51 Grands Prix. Fangio est né à Balcarce, en Argentine, le 24 juin 1911, dans une famille d'immigrés italiens. Son père est un maçon originaire des Abruzzes. Dans sa jeunesse, Juan Manuel tâte du football, s'essaie à la boxe. Bon élève, il choisit pourtant de ne pas poursuivre ses études à Buenos Aires pour rester auprès de sa famille. Il devient mécanicien. Féru d'automobile, il rêve de piloter. Faute de moyens, il devra patienter jusqu'à vingt-sept ans pour prendre le volant d'une voiture de course. En Argentine, la mode est alors aux courses de ville à ville, sur des routes en terre. Fangio commence à se faire un nom et devient champion d'Argentine en 41 et 42. Après guerre, sous l'impulsion du président argentin Juan Perón, passionné d'automobile, une écurie nationale est créée pour disputer des courses européennes. Fangio en fait partie. Les succès ne tardent pas. En 1949, le prodige argentin remporte quatre courses d'affilée.