Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Si la première famille de ces récepteurs est déjà relativement bien cernée, la seconde défie encore les pharmacologues, qui ne lui connaissent notamment aucun antagoniste. Seul moyen, donc, d'étudier ces protéines récalcitrantes : bloquer l'activité des gènes qui les gouvernent. C'est ce qu'ont fait les deux équipes, américaine et européenne, qui ont simultanément créé cette lignée de souris amnésiques. Privés de leurs récepteurs métabotropiques, les rongeurs montrent d'importantes déficiences de mouvement, ainsi que des troubles de la mémorisation spatiale. Ils présentent également une forte diminution de leur plasticité synaptique dans le cervelet et dans certaines régions de l'hippocampe. Preuve est donc faite que ces récepteurs jouent un rôle direct dans l'acquisition des capacités cérébrales de la souris et, vraisemblablement, de l'homme.

Car tous ces modèles animaux répondent à un objectif primordial : mieux appréhender le fonctionnement – normal ou pathologique – de notre propre espèce. C'est également le but du programme international Génome humain, qui vise à décrypter l'intégralité de notre patrimoine héréditaire. Un programme qui a franchi cette année une étape décisive, avec la publication par la revue britannique Nature d'un Genome directory (Annuaire du génome), de 380 pages, dans lequel est rassemblé l'essentiel des connaissances actuelles sur notre propre matériel génétique.

Une carte à grande échelle couvrant plus de 75 % de nos chromosomes, d'autres, plus fines, portant sur quatre d'entre eux (les chromosomes 3, 12, 16 et 22), auxquelles il faut ajouter le séquençage partiel de plus de 30 000 gènes : en six articles rédigés par deux cents coauteurs, cet annuaire sans précédent témoigne des fantastiques avancées qu'a connues en quelques années ce gigantesque projet. La centaine de milliers de gènes que portent nos vingt-trois paires de chromosomes est désormais à portée de connaissance.

Les conséquences ? Elles restent encore incalculables. Elles seront bien sûr médicales, mais aussi sociales et économiques. Une perspective que le Comité international de bioéthique (CIB) de l'Unesco n'a pas manqué de rappeler lors de sa session annuelle, durant laquelle fut peaufinée, et c'est une première, une Déclaration sur le génome humain et sa protection dans le cadre de la dignité et des droits de la personne.

Le sexe du cerveau

Pour la première fois, une équipe américaine de l'université Yale (New Haven, Connecticut) a mis en évidence dans une région du cerveau spécifiquement impliquée dans le langage une divergence d'organisation fonctionnelle entre hommes et femmes. Obtenus grâce à une technique d'exploration récente et très performante – l'imagerie par résonance magnétique (IRM), qui permet d'observer le fonctionnement du cerveau en action par la mesure d'infimes variations du flux sanguin –, ces résultats relancent une question controversée. Si l'on sait, en effet, que le langage dépend pour l'essentiel de régions corticales situées dans l'hémisphère gauche, on connaît mal encore les subtiles différences d'organisation qui peuvent exister entre le cerveau des deux sexes. Le traitement des tâches linguistiques est-il plus latéralisé dans le cortex de l'homme que dans celui de la femme ? Cette étude semble le montrer, mais ses auteurs, prudents, se gardent de conclure.

Une éponge carnivore

Elle s'appelle Asbestopluma hypogea, et elle constitue un cas remarquable d'adaptation aux eaux profondes. Cette éponge minuscule, dont la description a été publiée en janvier dans la revue Nature, a pourtant été découverte dans une grotte d'eau froide située à quelques mètres de la surface de la mer, près de La Ciotat (Bouches-du-Rhône), dont la température, de 13 à 14 degrés, reproduit un véritable modèle des grands fonds. Surprise supplémentaire, cette éponge est carnivore. Dépourvue de système de filtration, elle présente en revanche un corps hérissé de minuscules filaments, eux-mêmes dotés de petits crochets en silice qui lui permettent d'emprisonner ses proies, larves et crustacés.

Arbres fossiles

L'étonnante galerie des « fossiles vivants » vient de s'enrichir d'un nouveau spécimen, avec la découverte, en Australie, de colonies d'arbres dont les plus proches parents ont disparu durant l'ère secondaire. Le pin de Wollemi aurait ainsi survécu pendant cent cinquante millions d'années dans une minuscule niche écologique et semblerait être resté presque insensible à toute évolution. L'État australien de Nouvelle-Galles du Sud a aussitôt déposé un « brevet » faisant de ce conifère une variété protégée. Seul son gouvernement a actuellement le droit de cloner ce fossile végétal et d'en assurer la commercialisation, dont les profits doivent servir à financer la conservation des espèces végétales rares.

Ouvrages marquants

Au nom de l'eugénisme, de Daniel J. Kevles, PUF, 582 p., 398 F. Le Cerveau et la liberté, de Pierre Karli, Odile Jacob, 360 p., 140 F. Voyage au pays des gènes, de Bertrand Jordan, Les Belles Lettres-INSERM, 270 p., 110 F. La Biologie dans le boudoir, d'Alain Prochiantz, Odile Jacob, 156 p., 110 F.

Catherine Vincent
Journaliste au Monde