L'année économique en France

Après le creux enregistré en 1993, l'économie française confirme le redressement de 1994, avec une croissance annuelle de 2,5 %. Mais, à la différence des pays anglo-saxons, la sortie de la crise s'avère plus lente que prévu : les économistes, qui pariaient encore en début d'année sur une croissance supérieure à 3 %, doivent revoir leurs estimations à la baisse. Également battue en brèche, l'idée émise au cours de la récession selon laquelle l'économie connaîtrait des cycles plus marqués avec des hauts et des bas : plutôt qu'un décollage économique, 1995 n'a apporté qu'une reprise molle aux effets ténus sur l'emploi.

Croissance à petite vitesse

Le regain de l'activité économique en 1994 s'appuyait sur le phénomène de restockage, opéré par les entreprises et par les exportations, dopées par une demande extérieure forte. En 1995, la croissance se poursuit à un rythme stable, avec un rééquilibrage au profit de l'investissement et de la consommation. À l'instar des économies européennes, la croissance française, entraînée en 1994 par des moteurs externes, se voit tirer progressivement en 1995 par une demande intérieure plus forte. Attendu, ce basculement s'explique par des facteurs favorables : la décrue régulière des taux d'intérêt à long terme, les projets (et la nécessité) d'investissements des entreprises et la progression des revenus des ménages. Pourtant, le relais s'avère plus délicat que prévu, pour des raisons à la fois internes et externes.

En premier lieu, les perturbations de l'environnement économique international au cours du premier semestre provoquent en France comme dans les autres pays un effritement de la confiance des ménages et des entreprises. Il est vrai que l'année commence sous des auspices plutôt sombres. La crise du peso mexicain, la révision à la baisse des perspectives de l'économie des États-Unis et plus encore du Japon, enfin les tensions sur le marché des changes contribuent au ralentissement de la reprise économique. C'est ainsi que la reprise de l'investissement subit un tassement très net en milieu d'année : après douze mois de reprise significative, l'investissement chute brutalement au deuxième trimestre (− 1,1 %), tandis que les anticipations d'investissements reculent fortement, en raison du manque de confiance des chefs d'entreprise et du maintien de taux d'intérêt dissuasifs. L'investissement, qui s'était écroulé entre 1990 et 1993 (− 30 %), progresse d'environ 6 % en 1995, contre les 8 % prévus.

Deuxième composante de la demande, la consommation n'est pas à la hauteur des espérances. L'amélioration du marché de l'emploi, engendrée par le retour de la croissance, constitue pourtant un facteur d'entraînement puissant. La progression des effectifs salariés (210 000 créations d'emplois en 1995), permet une décrue régulière du chômage depuis l'été 1994 – fin 1995, le taux de chômage s'établit à 11,2 % de la population active contre 12,3 % en 1994 – et se traduit par une hausse des revenus d'activités. Ainsi, le pouvoir d'achat de la masse salariale, après avoir chuté en 1993 (− 2,9 %) et stagné en 1994, repart à la hausse (+ 2,8 % en 1995). Frileux, les ménages peinent à retrouver un comportement plus dépensier : le taux d'épargne se maintient à un niveau élevé (13,3 %).

Gonflée artificiellement par la « prime à la casse » (incitation à l'achat d'un véhicule neuf), la consommation se redresse mais reste insuffisante (+ 2,1 %). La rechute de l'automobile oblige le nouveau gouvernement à lancer à son tour une prime à l'automne. De façon générale, les Français restent très prudents. Il est vrai que la rigueur budgétaire persiste, pesant sur le pouvoir d'achat des ménages et freinant les anticipations d'achat.

Les mesures économiques du nouveau gouvernement

Au cours de la campagne électorale, Jacques Chirac déclare vouloir réduire la « fracture sociale » et rompre avec les tenants de « la pensée unique ». Tout en s'affirmant partisan de la réduction des déficits budgétaires, le candidat néo-gaulliste ne cesse de répéter que « trop d'impôt tue l'impôt ». Élu président de la République, Jacques Chirac fixe pour priorité à son Premier ministre, Alain Juppé, la lutte pour l'emploi. Le collectif budgétaire présenté le 22 juin par le gouvernement contient une série de mesures en ce sens, financées par un effort fiscal. Le déficit budgétaire pour 1995, que le gouvernement Balladur avait prévu de limiter à 275,1 milliards, est revu à la hausse : il atteint 322 milliards. Le nouveau gouvernement doit en effet couvrir, outre les dépenses nouvelles (14,6 milliards pour l'emploi), un dérapage budgétaire d'une cinquantaine de milliards qui s'est creusé en début d'année. En raison du ralentissement de la croissance, les rentrées fiscales sont en effet moins abondantes qu'escompté. Les recettes issues de la TVA souffrent en particulier de la faiblesse de la consommation. On évalue à 35 milliards le manque à gagner fiscal, alors que les dépenses liées à l'emploi, à la défense et à la charge de la dette sont plus importantes que prévu. Le collectif budgétaire de juin procède donc à des annulations de crédits et à une augmentation d'impôts, devant rapporter une trentaine de milliards supplémentaires. Le 1er août, le taux de la TVA passe de 18,6 à 20,6 %, soit un gain de 17 milliards de recettes fiscales. L'impôt sur les sociétés et l'impôt sur la fortune (ISF) subissent un sort comparable : la surtaxe de 10 % qui affecte les bénéfices des entreprises doit rapporter à l'État 12 milliards supplémentaires : plus symbolique, l'augmentation de 10 % de l'ISF rapportera 880 millions.