Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Mode : le retour à l'ordre

Alors que le rétro n'en finit pas de mettre la mode sous l'influence des années 60 et 70, qui se confondent avec nostalgie sur des silhouettes sorties en droite ligne de l'album des souvenirs, voici que, pour affronter l'an 2000, le vrai chic 95 – celui qui restera dans nos esprits – prône le retour à l'ordre. Le « fashionally correct », tendance suprême qui s'inscrit dans la logique indiscutable du « politically correct », cultive le minimalisme à l'extrême. Lignes nettes et irréprochables comme découpées au cordeau, allure lisse, dépouillée de tout détail inutile, il n'y a rien d'ostentatoire dans ces « nouvelles silhouettes » auxquelles le regard, lassé de tant de dérapages, ne demande qu'à s'habituer. Pure et à nouveau sage, la mode ne souffre ni excès ni débordement. Les formes sont gommées. Les épaules, fines. L'important, c'est le style, strict et simple. L'essentiel, c'est la coupe. Rigoureuse. Impeccable. Image de paradis immaculé à la manière de l'univers épuré de l'Américain Calvin Klein, la mode correspond à un sentiment de bien-être plus qu'à une envie de paraître. « Moins c'est plus. » Sur cette vérité se bâtit la philosophie créative – « récréative » – de cette fin de siècle, qui n'en finit pas d'annoncer l'avènement de nouvelles valeurs fondées sur le besoin de spiritualité. L'envie de consommer s'étiole au profit d'un système de pensée et d'action différent. Être en accord avec soi-même pour trouver l'harmonie avec les autres annule toute fringale de mode, donc a fortiori, limite la fantaisie et la « flamboyance ». Les femmes, qu'elles soient de pouvoir ou non, n'ont plus besoin pour se trouver ou pour s'affirmer de vêtements aux effets ostentatoires, de tenues explosives.

Objectif sérénité

« Ce refus du trop, cette chasteté des apparences », comme le remarquent les spécialistes, s'affirme délibérément dans une uniformité de tendance. La mode est à l'uniforme, qui fait ressembler « chacun à tout le monde », à l'unicité de ligne. Partout le même tailleur à veste droite, le même manteau court à buste étriqué, la même robe ras-de-cou et sans manches, que rien ne distingue à vrai dire les uns des autres, sinon la griffe dans l'encolure. Les pulls se portent à fleur de peau dans un esprit de strict minimum. Les repères se fondent ou s'effondrent. Du nord au sud, de l'est à l'ouest, les distances s'effacent, les idées se superposent, il y a une internationalisation du style et des longueurs. Aux genoux. Le Français Dominique Morlotti, l'Américain Ralph Lauren, l'Italien Giorgio Armani, l'Allemande Jill Sander renvoient tous l'image d'une femme discrète et de bon ton, apaisée par cette netteté retrouvée. Couleurs essentielles de ce mouvement « fashionally correct », le beige apaisant, le noir rigoureux et le blanc purificateur. Finie l'esbroufe, on préfère la qualité à la quantité, l'utilité à la futilité, l'intimité à l'apparat. Les tissus eux aussi rentrent dans le rang. Avec eux, c'est le retour au lisse, au doux, au pur, au sans relief. Cachemires, flanelles, lainages rasés, lins, soies, shantungs font partie des génériques. Les boutons disparaissent. Les Zips les remplacent. Ce parti pris minimaliste, cette cohérence de lignes qui se distinguent en cette année 95 marquent à l'évidence le retour à l'élégance originelle. Cette véritable élégance que l'on reconnaît aux formes naturelles ou créées par l'homme et dont la perfection est faite de grâce et de simplicité. Témoin de son époque, la mode ne fait que traduire l'évolution des comportements dans la société contemporaine et la volonté de rechercher de nouvelles formes de spiritualité. À l'approche du troisième millénaire, on assiste à l'émergence de valeurs différentes où dominent le désir de bien-être et d'harmonie avec soi-même. Le paraître compte moins. On recherche des plaisirs plus émotionnels. Le rapport aux choses, aux objets, aux vêtements n'est plus fondé en priorité sur les apparences : ce qui implique la recherche de formes simples, basiques, authentiques par opposition à tout ce qui est éphémère avec une indépendance totale vis-à-vis des symboles de statut social. Objectif avoué : trouver la sérénité.

Dominique Morlotti délaisse la création des collections femmes pour la maison Lanvin, mais demeure le styliste des collections masculines. Il a en projet de créer sa griffe féminine. Appelé à le remplacer : Ocimar Versolato. Ce styliste italo-brésilien, âgé de trente-quatre ans, formé au Studio Berçot, a fait ses premières armes auprès de Gianni Versace. Il a travaillé ensuite pendant trois ans avec Hervé Léger. Puis il a fondé sa maison de couture en 1994, où il crée principalement des robes du soir. Son style ? Une élégance sophistiquée très glamour. Sa passion ? Les drapés. Un exercice où il excelle.

Nouveau venu dans la maison Scherrer, Bernard Perris n'est pas un inconnu, loin de là, puisqu'il a fondé sa propre maison de couture en 1969. Maison qui a fermé ses portes en janvier 1994. Il a pris la succession d'Erik Mortensen, le couturier d'origine danoise qui avait œuvré pendant deux ans. Bernard Perris a créé sa première collection couture pour la maison Scherrer en janvier 1995.

Kiki Féraud prend la tête de la maison de couture fondée par son père, Louis Féraud (qui fut d'abord boulanger puis ouvrit une minuscule boutique à Arles), dans les années 50 ; en 1952 précisément, sur le faubourg Saint-Honoré, en face du palais de l'Élysée. C'est elle qui devient, à quarante-sept ans, l'âme créatrice des collections, entourée de l'équipe des collaborateurs qui depuis longtemps travaillent aux côtés de Louis Féraud. Une affaire de famille puisque Zizi Féraud, la mère de Kiki, reste la cheville ouvrière de cette maison qui connut ses premiers succès en même temps qu'une inconnue, nommée Brigitte Bardot.

Diana Scarisbrick, Chaumet joaillier depuis 1780, Alain de Gourcuff, 1995