Il en est ainsi de l'arrêté Fillon du 29 décembre 1994, de la circulaire Bayrou du 26 janvier 1995 et du rapport Laurent du 20 janvier, dont les contenus sont invoqués pour appeler enseignants et étudiants à participer aux journées d'action des 7 et 16 février ainsi qu'aux grèves qui suivent et qui prennent une ampleur particulière dans les IUT (Instituts universitaires de technologie). En précisant que les diplômés de ces établissements n'auraient accès aux Instituts universitaires professionnels (IUP) qu'« à titre exceptionnel et par dérogation », les deux premiers de ces documents mettent le feu aux poudres parmi les intéressés, qui croient déceler derrière cette formule une interdiction leur barrant tout accès à l'enseignement supérieur. Quant au rapport Laurent préconisant une rationalisation des filières, un remodelage de l'aide aux étudiants et une augmentation des droits d'inscription dans les universités, il enflamme les esprits. Il faut alors composer. Le 14 février, les textes contestés sur les IUT sont réécrits et les expressions litigieuses en sont retirées. Le rapport Laurent retrouve sa fonction originelle, celle d'un simple document de travail n'engageant que ses auteurs et non le ministère.

À la veille des élections présidentielles, il n'est plus temps de réformer l'université. L'héritage de François Fillon est pourtant lourd d'inquiétudes. À François Bayrou d'en assurer la charge dans le cadre des promesses électorales de Jacques Chirac.

Les « universités pauvres »

Après cinq mois consacrés à la réflexion, le ministre annonce, le 19 octobre, qu'il se donne un an pour engager la réforme de l'université. En réalité, l'impécuniosité du Trésor public renvoie à une date indéterminée l'élaboration d'un futur statut de l'étudiant. Par contre, la réforme des premiers cycles universitaires destinée à remédier au dramatique taux d'échec semble devoir être rapidement mise en chantier. Avec le renforcement des formations technologiques et l'aménagement des rythmes scolaires, elle constitue, en effet, un des trois thèmes que doit étudier prioritairement la commission Fauroux, dont les 24 membres ont été nommés le 11 septembre pour « conduire la consultation sur le système éducatif » préalable à l'organisation du référendum sur l'école voulu par le chef de l'État.

La grève des étudiants de Rouen ne laisse pas le temps au ministre d'engager la concertation. En n'allouant pas à la faculté des sciences de cette ville une somme de 12 millions de francs pourtant inscrite à son budget et en mettant par contrecoup cet établissement en situation de cessation de paiements, l'administration centrale met le feu aux poudres. Allumé au début d'octobre, l'incendie ne cesse de s'étendre, bien qu'il ait pu être circonscrit localement par une rallonge budgétaire de 9 millions. Mis en appétit, les étudiants des autres universités en « situation de souffrance » prennent le relais, notamment à Metz et à Toulouse.

Protestant contre le manque de locaux, le taux d'encadrement trop faible, le taux d'échec trop élevé dans le premier cycle, les étudiants en colère rendent chaque jour plus difficile la tâche du ministre, dont le plan d'urgence présenté le 22 novembre doit être exécuté sans moyens budgétaires nouveaux, par simples redéploiements de crédits déjà votés.

Alors que les grèves de la SNCF et de la RATP paralysent le pays et la capitale, le gouvernement veut éviter à tout prix l'exemplarité d'un mouvement étudiant qui, même si ses finalités sont absolument différentes, pourrait rappeler la situation de mai 68. Le 3 décembre, M. Bayrou révise à la hausse ses engagements chiffrés pour 1996 : 369 millions de francs s'ajoutent aux 200 prévus initialement pour être redistribués aux universités les plus pauvres. Par ailleurs, une somme de 2 milliards (dont le financement n'est pas précisé) devrait être consacrée dans les deux ans à l'amélioration de l'hygiène et de la sécurité des locaux.

Ce nouveau conflit dans l'université, sur fond de grève générale rampante, se caractérise par une sorte de paradoxe : les étudiants réclament des moyens et seulement cela, alors que leurs aînés voudraient discuter avec eux des finalités de l'enseignement. Les premiers voudraient être des étudiants « pour de vrai » alors que les seconds pensent que cela n'est pas possible pour tout le monde. Un débat de temps de crise.

Pierre Thibault