Le mouvement de grèves qui a suivi l'annonce, le 15 novembre, de la réforme des comptes sociaux se trouve amplifié chez les cheminots (opposés au contrat de plan entre la SNCF et l'État) et dans les universités, confrontées au manque de moyens face à la montée des effectifs de bacheliers. Le ministre de l'Éducation nationale, François Bayrou, doit faire face au dernier trimestre à une contestation d'envergure, largement partagée par les étudiants et les enseignants, qui l'oblige, après des négociations engagées dans plusieurs grandes villes par des médiateurs, à débloquer des fonds d'abord pour les universités les moins bien dotées, ensuite dans le cadre d'une action d'ensemble et de plus long terme.

Les multiples facettes du problème de l'emploi

Les difficultés d'emploi ne sont pas propres à la France, mais elles y prennent un relief particulier car leur manifestation la plus massive – la précarisation – est un phénomène demeuré à peu près inconnu depuis l'époque de la première industrialisation du milieu du xixe siècle. Même les effets sur l'emploi de la grande crise des années 1929 avaient été atténués en France, alors que la situation était dramatique aux États-Unis et en Allemagne.

L'attention se concentre depuis vingt ans, à juste titre, sur le déficit du nombre total des emplois disponibles et sur le taux de chômage. Mais tous les gouvernements ont, jusqu'à présent, échoué : le chiffre du chômage atteint en décembre 1994 12,6 % de la population active. Il commence à décroître lentement, à partir de février 1995, pour se situer à la fin de l'année à environ 11,5 %, mais dans une conjoncture économique redevenue plus favorable. Toutefois, la modification un peu trop précipitée des modes de calcul à partir de juillet brouille le tableau et rend les chiffres difficilement comparables aux précédents. C'est qu'il importe de distinguer entre plusieurs types de chômage, afin d'expliquer l'apparent paradoxe d'un chômage qui ne recule que très faiblement et qui se combine avec une certaine reprise de l'embauche (manifeste dès 1994, confirmée en 1995, celle-ci concerne surtout le secteur tertiaire). Les jeunes (et les jeunes femmes plus encore que les jeunes gens) sont les plus touchés par le chômage : un jeune de moins de 25 ans sur 10 est inscrit à l'ANPE. D'autre part, le temps passé en chômage de longue durée ne fait que s'allonger, et ici, les différentes formes d'exclusion tendent à se combiner pour définir un quart-monde relevant de l'assistance plus que du retour à l'emploi. Le recours aux mesures de réinsertion (contrats emploi-solidarité [CES], puis contrat initiative-emploi [CIE]), tout en allégeant les chiffres du chômage, débouche trop peu sur de véritables emplois : en 1994, sur plus de 600 000 personnes sortant d'un CES, plus de 57 % se sont retrouvées au chômage. C'est dire que des questions de fond liées au système d'enseignement et aux modalités d'accès à l'entreprise restent posées. Enfin, une part croissante des actifs est touchée par des alternances d'activité et de chômage, ce que l'on peut mesurer par le rythme des contrats à durée déterminée, particulièrement usités lorsqu'il s'agit de jeunes : les jeunes représentent 15 % des personnes embauchées, mais 70 % des contrats à durée déterminée. Le secteur tertiaire est responsable des trois quarts des recrutements, mais près de trois sur dix se font à temps partiel – y compris dans la fonction publique (décret du 9 février 1995). Le nombre total des emplois à durée indéterminée passe de 53 à 44 %, et il existe une forte rotation des embauches à durée déterminée.

Les premiers mois de l'année ne connaissent que très peu d'activité législative sur le plan social, campagne électorale oblige. Mais l'emploi a pris une place grandissante dans le discours politique depuis une dizaine d'années, et c'est principalement sur ce thème que Jacques Chirac est élu président de la République. Au fil des ans, les mesures que l'on peut qualifier de techniques pour empêcher les chômeurs de devenir des exclus de la société ou pour inciter les entreprises à embaucher se multiplient. Le gouvernement Juppé reprend, dès le mois de mai, les dégrèvements de charges sociales pour les entreprises qui embauchent des jeunes ou des chômeurs de longue durée, et met en place le contrat initiative emploi (CIE), promis par le candidat Chirac, avec un complément, le contrat d'aide à l'emploi pour les jeunes. Est d'abord mis en place un comité interministériel de lutte contre le chômage, puis, dans le deuxième gouvernement Juppé, pour plus d'efficacité, un vaste ministère du Travail et des Affaires sociales, confié au centriste Jacques Barrot. Cependant, le débat sur le CIE fait apparaître, au sein même de la majorité, d'importantes divergences sur son extension et les limites de son application, et le patronat se montre très réservé sur les perspectives d'embauche.