Afin de résoudre la question immédiate de la dette, une taxe spéciale est créée : assise sur la plupart des revenus au taux de 0,5 %, elle est instituée pour 13 ans. Visant à plus long terme, la réforme prévoit une modification en profondeur de l'ensemble du système : renforcement du contrôle du Parlement (au prix d'une réforme de la Constitution), qui fixera une « enveloppe annuelle » des dépenses de santé ; objectifs de dépenses par Région ; sanctions automatiques pour les médecins trop dépensiers ; élargissement des conseils d'administration des caisses d'assurance maladie ; unification des régimes d'assurance maladie ; généralisation du carnet médical obligatoire ; régionalisation de la politique hospitalière ; incitations à consulter en premier recours un généraliste ; alignement du régime de retraite des fonctionnaires sur celui des salariés ; imposition des allocations familiales ; modification de l'assiette des cotisations patronales (actuellement assises sur la seule masse salariale) afin de les rendre moins défavorables à l'emploi ; etc. L'objectif est de réduire le déficit du régime général à 30 milliards en 1996 et de retrouver l'équilibre dès 1997.

De la grande grève au sommet social

Bien accueilli par les experts de droite comme de gauche et par la CFDT, le plan Juppé déclenche la réaction hostile des syndicats FO et CGT, qui appellent à la grève. Les cheminots, qui protestent également contre le nouveau contrat de plan SNCF, s'arrêtent de travailler, et les agents postiers, aux enseignants, aux agents d'EDF. Pendant trois semaines, la France est bloquée. Alain Juppé cède sur les retraites (il renonce à s'attaquer aux régimes spéciaux et à faire passer de 37,5 à 40 ans le nombre d'années de cotisations nécessaires pour toucher une pleine pension, comme c'est déjà le cas dans le privé) ; il retire le contrat de plan SNCF et « démissionne » le patron de l'entreprise, Jean Bergougnoux ; enfin, il convoque un vaste sommet social fin décembre. La réforme fiscale est reportée. Elle devait intégrer le financement de la refonte de la Sécu. L'un des grands problèmes du financement actuel de la protection sociale, c'est qu'il pèse essentiellement sur les salaires et qu'il accroît ainsi le coût de l'emploi. Pour mettre fin à cet effet pervers, l'idée est de réduire les cotisations pesant sur les salaires et de mieux répartir le poids entre tous les revenus.

Le ministre des Finances, Alain Madelin, n'a pas eu le temps de dévoiler ses projets sur la réforme fiscale puisqu'il a été démis pendant l'été, pour incompatibilité d'humeur avec Alain Juppé. C'est donc son successeur, Jean Arthuis, qui lance les premiers « ballons d'essai ». Que compte-t-il faire ? D'abord, élargir l'assiette de la CSG (Contribution sociale généralisée) à tous les revenus : retraites (à taux normal), allocations diverses, certains produits d'épargne (à l'exclusion du livret A), etc. Et, dans le même temps, réduire les taux de l'impôt sur le revenu, en instaurant quatre larges tranches, dont la tranche supérieure serait imposée à seulement 40 % (contre 56,8 % aujourd'hui). Enfin, l'impôt sur le revenu serait entièrement toiletté, ce qui signifierait la fin progressive des multiples exceptions accumulées au fil du temps. Mais la grève contre le plan Juppé, très soutenue par l'opinion, fait reculer le gouvernement. D'autant que la conjoncture, qui se dégrade en fin d'année, n'est guère propice à ce type de grande réforme.

La Banque de France, qui, depuis 1994, est indépendante du pouvoir, a bien accueilli le virage automnal de la politique gouvernementale. En un mois, les taux courts ont pu baisser de 1,5 point. L'année avait bien mal commencé pourtant : inquiets des soubresauts du franc, les neuf sages du Conseil de politique monétaire ont maintenu des taux directeurs élevés, ne les baissant qu'au compte-gouttes. Les marchés financiers, trouvant « illisible » la politique économique française (relance ou rigueur ?), ne laissèrent pas le franc tranquille pendant toute l'année, rendant difficile une politique monétaire plus accommodante. Au début du mois d'octobre, une attaque sur le franc a même poussé l'institut d'émission à relever l'un de ses taux directeurs, le taux de prise en pension, pour défendre de nouveau la monnaie.

Il faut attendre le début du mois de novembre pour que la situation se détende. Avec le recul, tout s'est passé comme si le président Jacques Chirac et le gouverneur de la banque centrale, Jean-Claude Trichet, avaient passé une sorte de donnant donnant : le premier rentrait dans le rang de la « pensée unique », affirmait sa foi en la monnaie unique et engageait de vraies réformes ; en échange, le second baissait ses taux rapidement. Avec, comme arbitre de ce bras de fer, les marchés financiers internationaux.

Jean-Paul Fitoussi, le Débat interdit, Arléa, 1995.
Alain Madelin, Quand les autruches marchent sur la tête, Robert Laffont, 1995.

Pascal Riché
Journaliste à Libération