Le budget 1995 est fidèle à cette stratégie de « rigueur adoucie ». D'un côté, le gouvernement annonce la poursuite de la réduction du déficit budgétaire (qui est fixé à 275 milliards de francs), de l'autre, il réalise quelques tours de passe-passe pour ne pas avoir à tailler trop violemment dans les dépenses. Mais les experts s'interrogent sur la crédibilité de ce budget préélectoral. Une rectification – hausse de la CSG, notamment – risque de devenir nécessaire, une fois les élections passées.

Si le déficit de l'État est resté dans la ligne de ce que s'était fixé le gouvernement à son arrivée, le déficit public, pris au sens large (État + sécu + collectivités locales), a, quant à lui, clairement dérapé : ce déficit était de 5,8 % du PIB en 1994 et il y a très peu de chances pour que le gouvernement parvienne, comme il l'avait promis, à le faire descendre à 4,6 % en 1995... Le trou de la sécu, notamment, n'a pas été réduit, malgré la stabilisation des dépenses de santé : 54 milliards de francs en 1994, presque autant qu'en 1993 (56,4 milliards). Cette mauvaise maîtrise des dépenses publiques a entraîné la méfiance des marchés financiers, ce qui s'est traduit par des taux d'intérêt à long terme plus élevés (d'un demi-point) en France qu'en Allemagne.

Le « casse-tête » de la dette publique

Cette volonté de ne pas briser la reprise par une trop grande orthodoxie budgétaire a conduit à une progression explosive de la dette budgétaire, qui a augmenté de 40 % en deux ans. Les taux d'intérêt réels (hors inflation) étant supérieurs au taux de croissance, et donc à la progression des recettes fiscales, il devient très difficile pour le gouvernement de maîtriser ses finances : la dette gonfle toute seule. La seule façon de la stabiliser est de tailler franchement dans les dépenses. C'est la première fois, depuis le début du siècle, que la France se retrouve dans une telle situation. Auparavant, les problèmes de dette publique étaient réglés d'une façon simple : l'État faisait « tourner la planche à billets » et l'inflation ainsi générée effaçait rapidement la valeur de la dette. Les pays occidentaux ayant renoncé à laisser l'inflation repartir, il ne leur reste plus qu'un seul moyen pour assainir leurs comptes publics : l'effort. Au cours de l'année 1995, la dette dépassera la barre des 3 000 milliards de francs et le gouvernement devra payer cette même année 200 milliards de francs d'intérêts. Ce qui représente le troisième budget de la France après celui de l'éducation et celui de la défense.

Monnaie stabilisée

En appuyant sur la pédale budgétaire, Édouard Balladur a pris le risque d'affaiblir le franc. Les marchés ne détestent rien tant que des déficits publics qui enflent. Celui de la France, pris au sens large, a tout de même doublé entre 1991 et 1994, passant de 3 % à 6 % du PIB.

Mais l'année 1994 s'est finalement plutôt bien passée pour le franc. Les malaises du dollar l'ont certes affaibli, du fait d'un traditionnel jeu de bascule (la baisse du dollar entraîne la hausse du Mark, la hausse du Mark entraîne la baisse du franc), mais la monnaie française a tenu bon, au moins jusqu'en novembre, dans ses « anciennes marges de fluctuations ». La méfiance vis-à-vis de la gestion des deniers publics ne s'est pas manifestée sur la monnaie, mais sur les taux d'intérêt. Les taux à long terme, notamment, sont passés de 5,5 à 8,30 %, et leur écart avec les taux allemands s'est élargi. La monnaie française est cependant restée de marbre, ou presque, autour de la barre de 1 Mark pour 3,42 francs. Visiblement, les marchés estiment désormais que la France reste attachée à son lien avec la devise allemande, que la Banque de France est réellement devenue indépendante et que l'inflation (moins de 2 %) n'est pas prête de revenir dans l'immédiat...

Privatisations : la cagnotte de Balladur

Plus besoin d'enrober les privatisations dans un discours sur le capitalisme populaire : l'opinion publique s'est désormais faite à l'idée que ces ventes d'actifs publics servent avant tout à « desserrer la contrainte budgétaire », c'est-à-dire à trouver de l'argent. Le gouvernement a donc poursuivi son programme (commencé en 1993 avec Rhône-Poulenc, le Crédit local de France et la BNP), malgré une conjoncture boursière maussade. De janvier à octobre, la Bourse de Paris a perdu 20 %, contrariant le calendrier des privatisations. Les cessions d'Elf puis de l'UAP ont tout de même permis de dégager 52 milliards de francs. Restent sur la liste d'attente : les AGF, Renault (dont le capital a été ouvert), la SEITA, Bull (dont la privatisation a été engagée à la fin de l'année), Thomson et – pour 1996 au plus tôt – Pechiney et Usinor. Sans oublier Air France. En juillet, la Commission de Bruxelles a autorisé l'État à injecter 20 milliards de francs dans sa compagnie aérienne, à condition qu'il s'engage à la privatiser... L'autre objectif – non avoué – des privatisations est également pour Édouard Balladur de poursuivre la constitution d'un solide réseau d'« amis » au cœur du capitalisme français. Il avait commencé lors de la première cohabitation – il était ministre des Finances – et il a continué lors de la seconde. Jacques Friedmann a ainsi hérité de l'UAP, Philippe Jaffré a été nommé à la tête d'Elf Aquitaine, Michel Pébereau a laissé sa place aux commandes du CCF à Charles de Croisset – l'ancien directeur de cabinet de Balladur – pour s'occuper lui-même de la BNP... Aujourd'hui, la plupart des privatisées sont présidées par des hommes qui ne cachent pas leur fidélité au Premier ministre.

Le coût du travail : velléités réformistes

De plus en plus de dirigeants politiques, à droite comme à gauche, ont désormais la conviction que si le chômage frappe essentiellement le travail non qualifié, c'est que ce dernier est trop coûteux. Abaisser le coût du travail était ainsi au cœur du projet d'Édouard Balladur. Mais il a dû déchanter : la crise a aggravé le poids des charges sociales et le gouvernement n'a guère pu toucher au système existant.