Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

La mise en cause des premiers est plus spectaculaire et n'épargne personne. Ainsi, deux députés socialistes des Bouches-du-Rhône, Michel Pezet et Philippe San Marco, sont inculpés de trafic d'influence dans l'affaire Urba-Graco (financement du PS), affaire qui vaut à l'ancien trésorier et actuel premier secrétaire de ce parti, Henri Emmanuelli, de passer en jugement devant le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc en 1995. Et cela sans préjuger des résultats des actions en cours engagées contre les ministres des anciens gouvernements socialistes : Georgina Dufoix, mise en cause, en 1992, pour infractions financières dans l'achat d'un appareil de radiologie lourde de l'hôpital de Nîmes ; Bernard Tapie (Radical), accusé notamment de tentative de corruption en 1993 dans l'affaire du match de football Valenciennes-OM ; Michel Gillibert, accusé de détournement de subventions allouées à des associations d'aide aux handicapés et traduit, à ce titre, devant la Cour de justice de la République.

La nouvelle majorité n'est pas davantage épargnée. Elle est d'abord atteinte par le rebondissement d'affaires déjà anciennes d'abus de confiance : celle, par exemple, du très médiatique Jacques Médecin, ancien maire de Nice. Mais ce sera la mise en cause, à la suite de l'assassinat de Yann Piat, du président du conseil général du Var, de 1985 à 1994, l'UDF-PR Maurice Arreckx, qui va déclencher un véritable séisme politico-judiciaire. Ce dernier est rapidement soupçonné de « favoritisme dans les marchés publics ». L'évolution de cette affaire accentue brusquement la suspicion de l'opinion publique. Déjà suscitée en 1992 et 1993 par les rebondissements de l'affaire Botton-Noir, cette suspicion s'étend désormais à l'ensemble de la classe politique lorsqu'on apprend que le conseiller Van Ruymbeke a transmis, le 24 mars, un rapport explosif au procureur de la République de Rennes, Jacques Brun. Selon ce document, l'un des pourvoyeurs de fonds du PS, l'industriel nantais René Trager, aurait été aussi, entre 1987 et 1991, celui du PR. Avec pour cheville ouvrière le trésorier de ce parti, le député des Vosges Jean-Pierre Thomas, et pour « pompe à finances » le Groupement des régies réunies (GRR), cette opération mettait en cause les dirigeants de la deuxième composante de la majorité, Alain Madelin, François Léotard et surtout Gérard Longuet, tous trois membres du gouvernement d'Édouard Balladur. Dès lors, celui-ci n'allait plus cesser d'être dans la ligne de mire des juges d'instruction.

Estimant que la privatisation de la gestion de l'eau à Grenoble, en juillet 1989, était le prix à payer par anticipation à la Lyonnaise des eaux pour obtenir de cette société l'apurement des dettes du Dauphiné News, journal électoral d'Alain Carignon, le juge Philippe Courroye contraignait celui-ci à la démission de son poste de ministre (RPR) de la Communication en juillet et le faisait incarcérer le 12 octobre. Cette décision était confirmée le 28 octobre par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon. Le 14 octobre, le juge Van Ruymbeke obligeait à son tour Gérard Longuet, ministre PR de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur, à renoncer à ses fonctions, le magistrat mettant en question le coût réel des travaux réalisés dans la villa que le ministre possède à Saint-Tropez, ainsi que les modalités de leurs règlements. Enfin, les 12 et 14 novembre, le juge Éric Halphen contraignait Michel Roussin, ministre RPR de la Coopération et ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, à se retirer du gouvernement, avant de le mettre en examen « pour recel d'abus de biens sociaux » dans le cadre d'une possible affaire de fausses factures concernant les HLM de la ville de Paris et le financement du RPR.

La vague judiciaire touche également plusieurs chefs de très grandes entreprises. Du 27 mai au 7 juin, Didier Pineau-Valencienne, P-DG de Schneider, est incarcéré à Bruxelles et inculpé notamment d'escroquerie et d'abus de confiance au détriment des petits actionnaires d'outre-Quiévrain. Le 31 mai, c'était au tour de Pierre Berge, le patron de Saint-Laurent, d'être mis en examen pour délit d'initié. Son homologue à la tête d'Alcatel-Alsthom, Pierre Suard, est soumis à la même mesure, alors que son entreprise est impliquée dans une affaire de surfacturation aux dépens de France Telecom. D'autres responsables économiques sont mis en cause dans le cadre d'affaires à connotation nettement plus politique : le banquier Jean-Marc Vernes est entendu le 14 juin par le célèbre juge Antonio Di Pietro à propos de l'affaire Enimont (distribution de dessous-de-table aux partis italiens) ; le P-DG de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, est mis en examen le 6 septembre parce qu'une de ses filiales, Pont-à-Mousson, est soupçonnée de participation au financement occulte du PR.

Les solutions

La liste des hommes politiques et des hommes d'affaires impliqués est longue. Elle est si longue que leur simple énumération suffit à ébranler le crédit de l'État et à miner l'audience internationale des grands groupes français. Il fallait réagir. Ainsi, quatre grands groupes du bâtiment et des travaux publics le firent dès le 18 octobre en s'engageant « à ne contribuer au financement des partis politiques et des candidats aux élections qu'en respectant la législation ». C'était avouer ne jamais avoir respecté les lois du 15 janvier 1991 et du 19 décembre 1992. Par ailleurs, plusieurs voix s'élevèrent pour que l'éthique des affaires soit enseignée dans les écoles de commerce. De leur côté, les élus commencèrent à réclamer des dispositions légales plus contraignantes. Dès le 24 août, le garde des Sceaux, Pierre Méhaignerie, faisait adopter par le conseil des ministres un projet de loi étendant la notion de blanchiment de capitaux à l'argent provenant de la fraude fiscale et de la corruption, avec une peine de 5 ans de prison et 2,5 millions de francs d'amende pour les contrevenants.