Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Corées : vers la détente ?

La mort brutale du leader nord-coréen, Kim Il Sung, le 8 juillet 1994, est venue bousculer toutes les données dans la péninsule coréenne.

Bras de fer

À la fin du mois de juin, pour la première fois depuis la fin de la guerre civile en 1953, la perspective d'une réunification pacifique des deux Corées semblait envisageable. La péninsule coréenne est divisée depuis plus de 41 ans le long du 38e parallèle en deux régimes opposés (un régime totalitaire et stalinien au Nord, une démocratie capitaliste au Sud). Après plusieurs semaines d'épreuves de force entre Américains et Nord-Coréens, des espoirs de solution commençaient également à poindre dans le domaine nucléaire. C'est un médiateur inattendu, l'ancien président américain Jimmy Carter, qui a permis de débloquer les deux dossiers envenimant les relations dans la péninsule, en se rendant du 14 au 18 juin en « voyage privé » à Pyongyang, la capitale nord-coréenne. Jimmy Carter s'est entretenu pendant plusieurs heures avec l'homme fort nord-coréen, Kim Il Sung, 82 ans, qui dirigeait alors son pays d'une main de fer depuis 1948 et a obtenu, à la surprise générale, deux accords essentiels. Kim Il Sung s'est engagé à « geler » son programme nucléaire en échange du rétablissement des relations diplomatiques et des échanges avec les États-Unis, rompus depuis la guerre de Corée (1950-1953). Kim Il Sung a également proposé une rencontre au sommet avec son homologue du Sud, le président Kim Young Sam, élu démocratiquement en 1993, pour discuter de la réunification de la péninsule. Jimmy Carter a joué les messagers entre le Nord et le Sud, qui n'entretiennent pas de contacts directs, et le président sud-coréen a rapidement accepté l'offre d'un sommet, qui devait ouvrir le 25 juillet à Pyongyang.

Cette évolution a suscité, au Sud, un soulagement d'autant plus important que le bras de fer entre le Nord et les États-Unis à propos du dossier nucléaire s'était répercuté, début juin, sur les relations Nord-Sud. Après plusieurs mois de contacts infructueux avec Pyongyang pour forcer l'inspection par des experts de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) du site militaire de Yongbyon (150 km au nord de Pyongyang) où les satellites espions américains ont décelé un hangar suspect qui pourrait être un laboratoire de recherche ainsi que des zones de stockage de déchets nucléaires, les États-Unis avaient entamé, au mois de mai, un processus de vote de sanctions contre la Corée du Nord au Conseil de sécurité des Nations unies, contre l'avis de la Chine. Le gouvernement sud-coréen avait appuyé ces démarches américaines, bien que l'opposition dénonçât de plus en plus fermement « l'alignement » de Séoul sur Washington. De son côté, le régime nord-coréen avait menacé d'attaquer militairement le Sud si jamais les sanctions étaient appliquées. C'est dans ce contexte d'extrême tension que Jimmy Carter s'est rendu au Nord et a négocié ces ouvertures. Dès le retour de l'ex-président aux États-Unis, et après confirmation des intentions de Kim Il Sung par les canaux diplomatiques, les préparatifs pour le sommet Nord-Sud et un nouveau round de négociations entre Nord-Coréens et Américains ont été entamés.

La stupeur a donc été totale lorsque radio Pyongyang a annoncé, le samedi 9 juillet, que « le grand leader » Kim Il Sung avait été terrassé la veille par une crise cardiaque.

Disparition

La mort brutale de Kim Il Sung a aussitôt éveillé les soupçons. Certes, le dictateur était âgé de 82 ans, mais sa disparition dans une période aussi cruciale pour l'évolution du régime nord-coréen, après plusieurs décennies d'immobilisme, est apparue suspecte. Les spécialistes n'ont eu pour autre ressource que de scruter les quelques images diffusées par la télévision nord-coréenne au moment des funérailles de Kim Il Sung. Aucune délégation étrangère n'avait été invitée ni admise à participer. Les caméras nord-coréennes ont insisté sur les scènes de prostration pendant les semaines qui ont suivi la mort du « grand leader », montrant un pays en larmes qui défilait devant les immenses statues et effigies à la gloire de Kim Il Sung. La plupart des experts occidentaux estiment que la population a réagi spontanément, compte tenu du culte de la personnalité auquel elle est soumise et de son manque de contacts avec l'extérieur. Voilà plus de quarante ans que le « Royaume ermite » de Corée du Nord est quasi-coupé du monde.