Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

« Nous prenons l'engagement de construire une société dans laquelle tous les Sud-Africains, noirs comme blancs, pourront marcher la tête haute ». Flanqué de ses deux vice-présidents, le Noir Thabo Mbeki (président national de l'ANC) et le Blanc Frederik De Klerk, le leader du Congrès national africain prononce ces mots le 10 mai et prête serment comme premier chef de l'État de l'après-apartheid devant un parterre de personnalités venues du monde entier. À presque 76 ans, cet « élégant jeune homme à la chevelure grise », comme il aime se décrire lui-même avec humour et qui, au cours de ses 27 années de détention, n'a jamais faibli, a réussi un tour de maître : amener son pays à la démocratie en faisant l'économie d'une guerre civile. Mais il n'aurait pu y parvenir s'il n'avait été soutenu par l'intelligence politique de Frederik De Klerk qui, avec lui, aura su déjouer tous les pièges.

L'euphorie de l'élection passée, Nelson Mandela annonce un programme de reconstruction et de développement visant à réduire progressivement le fossé qui sépare les Sud-Africains blancs et noirs, tout en ménageant les milieux économiques blancs. Le leader de l'ANC constitue un gouvernement d'union nationale avec le Parti national, et l'Inkhata doit relever un nouveau défi. Conscient des attentes de la population noire, notamment dans les campagnes où l'on exige une redistribution des terres, le président sait qu'il devra, une fois de plus, jouer serré pour satisfaire ces immenses revendications sans remettre en cause les grands équilibres de la première puissance économique du continent noir.

Angola et Mozambique

L'exemple de l'Afrique du Sud va-t-il influencer le devenir de ses deux voisins lusophones ? La contagion de la démocratie, l'arrêt du soutien militaire sud-africain aux partis d'opposition, la disparition de la menace « soviético-cubaine » et la perspective d'un vaste marché austral constitueront-ils les éléments suffisants pour arrêter des guerres civiles dont les victimes se comptent par centaines de milliers ?

En Angola, la signature d'un accord de cessez-le-feu, le 20 novembre, laisse la population dans le plus grand scepticisme. Le fait que l'UNITA (Union pour l'indépendance totale de l'Angola) ait repris le combat en septembre 1992 après sa défaite aux élections demeure présent dans toutes les mémoires, d'autant plus que les hostilités auront probablement fait plus de victimes en deux ans qu'au cours des seize années précédentes. Le fait également que Jonas Savimbi, le leader de l'UNITA, ait refusé d'être présent lors de cette signature, craignant réellement pour sa vie, augure mal du rapprochement entre celui-ci et le président José Eduardo dos Santos. Le seul espoir peut venir de la nécessité. En effet, les deux protagonistes sont exsangues. Cela suffira-t-il pour que les deux parties passent du statut d'adversaires à celui de partenaires ?

Au Mozambique, les choses semblent se présenter d'une façon plus positive. Les élections de la fin octobre ont été jugées globalement satisfaisantes par les observateurs étrangers. Le leader de l'opposition, Afonso Dhlakama, chef de la RENAMO (Résistance nationale du Mozambique), après avoir menacé de boycotter le processus électoral, finit par y participer et par accepter le verdict des urnes. Il doit reconnaître la victoire de Joaquim Chissano, élu chef de l'État avec 53,3 % des voix, et celle de son parti, le FRELIMO (Front de libération du Mozambique), qui est crédité de 44,3 % des suffrages, contre 37,7 % à la RENAMO. M. Chissano, mieux que son collègue angolais, a compris la nouvelle donne de l'Afrique australe. Cultivé, ouvert sur l'extérieur, il a patiemment renoué le fil des négociations avec ses adversaires (accord de paix en octobre 1992) comme avec ses partisans, qu'il aura su convaincre de la nécessité du compromis. Même s'il a refusé – et c'est peut-être là une erreur politique lourde de conséquences –, la solution du gouvernement d'union nationale avec la RENAMO que lui avait suggérée son voisin Mandela et dont M. Dhlakama avait accepté le principe, il semble prêt à prendre à bras-le-corps les problèmes immenses et les solutions courageuses que nécessite la reconstruction d'un pays ruiné.

Chrono. : 1/03, 11/03, 28/03, 8/04, 26/04, 9/05, 27/10, 31/10, 20/11.

Nelson Mandela, Long Walk to Freedom, Little, Brown, 1994.

Christophe Champin