Au chapitre des ouvrages de référence, deux titres se sont imposés : le Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française en 4 volumes, sous la direction de J.-P. de Beaumarchais et Daniel Couty (Bordas), et surtout le Nouveau Dictionnaire des auteurs et le Nouveau Dictionnaire des Œuvres (Laffont), sous la direction de Paul de Roux, indispensable à tous les amateurs de littérature. À l'usage de ceux-ci, recommandons enfin la Guerre du goût (Gallimard) de Philippe Sollers, recueil d'articles sur des écrivains et des peintres, modèle d'intelligence critique et d'esprit français.

Prix : l'année de toutes les surprises

Cette année, la course aux prix aura été plus mouvementée qu'un steeple-chase. Dès l'été on donnait pour grands favoris du Goncourt Yves Berger et Philippe Labro. Presque partout ce furent les outsiders qui coiffèrent au poteau les concurrents les plus cotés. Au Goncourt et au Renaudot, la jeunesse l'emporta sur l'expérience : ne pouvant s'entendre sur le nom des vétérans, les jurés reportèrent leurs voix sur Didier Van Cauwelaert (Un aller simple), qui, grâce à la voix prépondérante d'Hervé Bazin, président du jury, donna le Goncourt à Albin Michel. Au Renaudot, le même scénario profita à un jeune auteur inconnu, Guillaume Le Touze, pour Comme ton père (L'Olivier). À l'Interallié, ce fut aussi un jeune écrivain peu connu, Marc Trillard, qui remporta le prix pour Eldorado 51 (Phébus). Au Fémina, en revanche, point de surprise : ce fut Olivier Rolin pour Port-Soudan (Seuil) qui l'emporta. Au Médicis, Yves Berger fut enfin récompensé pour Immobile dans le courant du fleuve (Grasset), tandis que Frédéric Vitoux obtenait le grand prix du roman de l'Académie française pour la Comédie de Terracina (Seuil).

Littérature mondiale

D'année en année – reflet de l'hégémonie de la langue anglaise dans le monde –, la littérature anglo-américaine étend son territoire parmi les livres étrangers traduits en France. À la rentrée de septembre, sur 147 romans étrangers, on recensait 90 romans anglais et américains. Viennent ensuite, dans l'ordre, les romans allemands, espagnols, italiens, russes et portugais. Les littératures des autres pays se partagent le reste de la production, à raison de un à quatre titres par langue. Phénomène intéressant : le succès que rencontrent en France certains auteurs, comme Paul Auster ou Nina Berberova, qui dans leur pays d'origine (ou d'accueil) connaissent une audience plus confidentielle. Le travail de découverte effectué par des maisons comme Actes Sud, Christian Bourgois, La Différence, Rivages, Stock, Fayard ou Flammarion, sans oublier celui de petites maisons spécialisées dans tel ou tel domaine comme Jacqueline Chambon pour la littérature allemande ou Philippe Picquier pour les littératures d'Extrême-Orient, finit par porter ses fruits dans un pays qui passa longtemps – malgré de grands « passeurs » tels Valéry Larbaud, Charles Du Bos ou Roger Caillois – pour fermé aux littératures étrangères.

Littérature américaine

L'année a été marquée par le regain d'intérêt pour un écrivain qui sort du purgatoire où il était confiné depuis sa mort : Henry Miller, et par la redécouverte d'un vieil auteur, célèbre pour un seul titre publié dans les années trente et silencieux depuis : Henry Roth. De Miller on a exhumé un premier roman, Moloch ou ce monde de Gentils (Belfond), écrit en 1927 et qui porte en germe, malgré ses maladresses, l'œuvre à venir – imprécatoire, autobiographique et lyrique – du futur auteur des Tropiques. Parallèlement, une solide biographie de Robert Ferguson, Henry Miller, une vie (Plon), et une évocation débridée, Henry Miller, un diable en liberté (Grasset), d'Érica Jong démythifient le pionnier américain du sexe et mettent au jour la transposition littéraire d'une vie en rupture de ban. Auteur en 1934 d'un livre éblouissant sur son enfance d'émigré à New York, l'Or de la Terre Promise, réédité par Grasset, Henry Roth s'était enfermé depuis dans un mutisme et une clandestinité dignes de Salinger. Il en sort, à 88 ans, avec le premier volume d'un cycle de six romans (!), À la merci d'un courant violent (L'Olivier), qui renoue avec l'autobiographie romancée de son premier livre. Autres redécouvertes : un roman de John Steinbeck, Lune noire (Lattès), célébration de la résistance contre la machine de guerre nazie, paru en 1944 aux États-Unis ; le premier roman de John Dos Passos, Rues de la nuit (Écriture), autoportrait d'un jeune écrivain partagé entre l'amour des lettres et l'appel de la vie ; un inédit de F. Scott Fitzgerald : la Ballade du rossignol roulant, récit pittoresque et drôle d'un voyage en voiture après son mariage avec Zelda. De Walt Whitman on a édité dans une nouvelle traduction les pages d'un journal intime qui révèle un poète de la nature de la lignée de Thoreau : Comme des baies de genévrier (Mercure). Dans la génération des auteurs contemporains déjà classiques, on a remarqué John Updike, qui a signé avec Rabbit en paix (Gallimard) le dernier volume de sa tétralogie, laborieux et pesant. Paix aux cendres de Rabitt qui nous a tout de même longtemps divertis. Philip Roth, dans Tromperie (Gallimard), a brillamment mis en scène un fétichiste du verbe qui écoute les confidences des femmes avant, pendant et après l'amour. Gore Vidal, avec En direct du Golgotha (Fayard), a bouclé sa tétralogie consacrée à l'expansion du christianisme, conçue comme métaphore de la décadence américaine. Paul Auster, l'auteur américain plébiscité par le public français, a raconté dans Mr Vertigo (Actes Sud) la relation étrange qui se noue, dans l'Amérique des années trente, entre un gamin du Missouri et un vieux sage juif qui promet de lui apprendre à léviter. De son côté, Russell Banks, dans De beaux lendemains et Histoire de réussir (Actes Sud), évoquait une Amérique des passions ordinaires et des laissés-pour-compte de la réussite. Cormac Mac Carthy, quant à lui, racontait la dérive d'un homme en rupture de ban avec sa famille et la société américaine dans Suttree (Actes Sud), roman halluciné qui éclaire l'envers du rêve américain. Dans les Filles de Maria (Denoël), suite des aventures du commissaire Sidel, et dans New York, chronique d'une ville sauvage (Gallimard), Jerome Charyn posait sur l'Amérique et sur sa capitale le regard désabusé d'un Hamlet du Bronx, tandis que Robert Stone, dans l'Autre Côté du monde, tournait lui aussi en dérision les valeurs américaines de la réussite en retraçant l'odyssée d'un perdant. Parmi les nouveaux venus, trois romanciers à signaler : l'astronome Chet Raymo, qui a donné avec Dans les serres du faucon (Belfond) un excellent thriller métaphysique médiéval, dans la ligne du Nom de la rose ; Sherri Szeman, auteur d'un premier roman implacable sur la relation sado-maso entre un commandant de camp et une jeune captive juive : la Maîtresse du commandant (Albin Michel) ; et Trey Ellis, un jeune romancier noir, dont Platitudes (Balland) apparaît comme une variation caustique sur l'Attrape-cœurs.

Littérature anglaise

Cette année a vu la célébration du centenaire de la mort de Stevenson, salué par une floraison éditoriale. Michel Le Bris a publié le premier volume de sa monumentale biographie de l'écrivain écossais : R.L. Stevenson (Nil), et la première partie de sa correspondance : Lettres du Vagabond (Nil). Chez d'autres éditeurs sont parus de nombreuses rééditions et des inédits : Notre aventure aux Samoa (Phébus), Intégrale des récits de voyage (Payot) ; l'Esprit d'aventure (Phébus). Parmi les redécouvertes de grands classiques, il faut noter Oscar Wilde, « transgresseur né » partagé entre le dandysme et le martyre, auquel Richard Ellmann a dédié une remarquable biographie, Oscar Wilde (Gallimard). Réhabilitation confirmée par la publication de ses Lettres (Gallimard) et d'un recueil de chroniques inédites, spirituelles, brillantes et profondes : Aristote à l'heure du thé (Les Belles-Lettres).