Au bout du compte, comme l'écrivent le journaliste Éric Conan et l'historien Henry Rousso (Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, 1994), « la vérité historique a eu du mal à trouver sa place entre les exigences impérieuses de la mémoire, les sophismes d'un droit soumis à des enjeux politiques et la logique du rituel des assises ».

« Résistance, Débarquement, Libération... »

Président de la Commission du cinquantenaire, le ministre des Anciens Combattants, Philippe Mestre, a reçu la lourde tâche de mettre en place la logistique d'accueil et d'assurer la sécurité des chefs d'État, des vétérans et des visiteurs qui ont voulu, le 6 juin sur les plages normandes et le 15 août dans les criques provençales, commémorer le souvenir de ceux qui ont tracé, souvent au prix de leur vie, les sanglants « chemins de la liberté », lesquels passèrent par Paris le 25 août 1944 et par Strasbourg le 23 novembre.

La commémoration a ses moments solennels : les grandes cérémonies du souvenir organisées le 6 juin en présence de 19 chefs d'État et de gouvernement et clôturées par le spectacle au Mémorial de Caen. Elle a ses moments émouvants : les hommages rendus dans les cimetières aux combattants dont la vie fut le prix de notre liberté. Elle a ses moments festifs et héroïques tout à la fois : le saut des vétérans américains et britanniques respectivement sur Sainte-Mère-Église et sur Bénouville (Pegasus Bridge). Mais elle pose aussi de nombreux problèmes : celui, très pratique, de l'accueil des participants trop nombreux pour la capacité hôtelière du Bessin et de la plaine de Caen ; celui, très politique, du choix des invités. N'accueillir que les représentants des puissances alliées, c'était signifier que ces dernières avaient avant tout fait la guerre à l'Allemagne. Solliciter la présence du chancelier Helmut Kohl, c'était rappeler qu'elles ne s'étaient coalisées que pour libérer l'Europe (Allemagne incluse) d'un ennemi commun : le national-socialisme que combattaient aussi certains Allemands. En proposant de célébrer, dès le 8 juin, à Heidelberg, une fête de l'amitié sur le thème de « l'engagement commun de la France et de l'Allemagne pour l'Europe », le président de la République française et le chef du gouvernement allemand réussissent à concilier les susceptibilités des anciens combattants et les réalités politiques. Cinquante ans n'ont donc pas suffi pour apaiser les querelles et les passions qui se sont inscrites dans une logique de guerre, que celle-ci soit franco-allemande ou franco-française. Pour en sortir, il n'est ni besoin d'oublier, ni besoin de pardonner. Il faut d'abord comprendre. Et c'est là œuvre de spécialistes. Certes, commémorer, c'est exalter le passé, ce n'est pas en écrire l'histoire.

Mais ce peut être l'occasion de le faire, ne serait-ce qu'en recueillant de nouveaux matériaux dans cette intention. En permettant la rencontre de nombreux historiens et de grands témoins, le colloque international tenu au Sénat du 2 au 4 février 1994 révèle que le Paris insurrectionnel de 1944 fut moins une fronde unique qu'une juxtaposition d'insurrections de quartiers disposant de faibles moyens, mais contribuant également à la portée symbolique de la Libération. À deux de ses principaux libérateurs tôt disparus, la capitale offre d'ailleurs sur la dalle-jardin de la gare TGV-Montparnasse un établissement double dont le centre de documentation et de recherche doit aider à revisiter le passé en rendant hommage à deux figures emblématiques de la Seconde Guerre mondiale : le Mémorial du maréchal Leclerc de Hauteclocque et le musée Jean-Moulin. Le chantier de l'histoire du temps de la Libération n'est pas près d'être fermé.

La Résistance et le réveil de la République

À l'heure de la commémoration du cinquantenaire du Débarquement, Olivier Wieviorka publie Nous entrerons dans la carrière. De la Résistance à l'exercice du pouvoir (Seuil, collection « xxe siècle », 1994, 458 pages). Dans cet ouvrage, l'auteur rassemble les témoignages de 14 personnalités de la Résistance, que celle-ci a propulsées en politique et qui ont fait carrière sous la IVe et la Ve République : deux communistes, Pierre Hervé et Gaston Plissonnier ; trois socialistes, Christian Pineau, Daniel Mayer et François Mitterrand ; un centriste, René Pleven ; trois gaullistes, Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré et Pierre Messmer, etc. Tous s'accordent pour constater que leur génération n'a pas su recomposer le paysage politique français, mais, à l'exception de Pierre Hervé, ils refusent d'accuser les partis politiques d'avoir été les fossoyeurs de l'idéal de la Résistance. (À propos de l'affaire Touvier, François Mitterrand déclare notamment dans cet ouvrage : « Quarante-cinq ans après, ce sont des vieillards. Il ne reste plus beaucoup de témoins et cela n'a plus guère de signification [...]. On ne peut vivre tout le temps sur des souvenirs ou des rancœurs. »)

La noblesse au Moyen Âge n'est pas une mais multiple. Ses origines sont très diverses, ses composantes sociales fort nombreuses, mais ses membres sont tous des hommes de guerre qui participent à l'exercice du pouvoir en échange d'importants privilèges, notamment d'ordre fiscal, comme le montrent Marie-Thérèse Caron et Marie-Claude Gerbet, auteurs de deux thèses remarquables et remarquées consacrées à l'étude des noblesses de Bourgogne et de Castille à la fin du Moyen Âge. À partir de ces cas concrets, celles-ci ont pu élaborer deux excellentes synthèses d'histoire sociale publiées par la librairie Armand Colin dans la collection « Références » : Noblesse et pouvoir royal en France de Saint Louis à François Ier (348 pages) et les Noblesses espagnoles au Moyen Âge du xiie au xve siècle (304 pages).

Être médiéviste, c'est d'abord exercer un métier dont les outils, fort nombreux, sont parfois difficiles à manier sans un apprentissage attentif et patient. Pour faciliter ce dernier, Jacques Berlioz et Olivier Guyot-Jeannin ont pris la direction d'une nouvelle collection, « L'Atelier du médiéviste », publiée par les éditions Brepols et dont les deux premiers volumes viennent de paraître : Identifier sources et citations et Diplomatique médiévale. Ce sont là de précieux instruments de travail que tout étudiant en histoire du Moyen Âge se doit de connaître, voire de posséder dans sa bibliothèque.

Gilles de Rais au cœur de l'actualité historique

En écrivant et en publiant, au début de 1992, Gilles de Rais ou la gueule du loup, Gilbert Prouteau ne prétendait sans doute pas faire oeuvre scientifique. En confondant le fruit de l'imagination de l'auteur avec le résultat d'une quête documentaire, des journalistes en quête de sensationnel, mais mal inspirés en l'occurrence, ont déclenché un processus qui a abouti à l'ouverture de deux procès en réhabilitation, l'un à Nantes, l'autre à Paris au palais du Luxembourg. C'était sombrer dans le ridicule après avoir voulu donner à la fiction la dimension de la vérité, pourtant si difficile à saisir. Professeur d'histoire du Moyen Âge à la Sorbonne, Jacques Heers s'est attaché à la rétablir dans son récent ouvrage, Gilles de Rais, Perrin, collection « Vérités et Légendes », 1994, 252 pages. Baron de Bretagne et maréchal de France, le sire de Rais ne fut pas « le grand chef de guerre, compagnon de Jeanne d'Arc » auquel il faudrait attribuer la levée du siège d'Orléans en 1429, mais simplement l'un des capitaines qui y participèrent, ainsi qu'en témoignent la discrétion allusive des chroniqueurs et les dépositions des témoins au procès en réhabilitation de l'héroïne entre 1450 et 1455. Ruiné moins par de folles prodigalités que par le coût des dépenses auxquelles l'entraînèrent ses obligations d'homme de guerre, il pratiqua l'alchimie et, plus grave, révocation des démons pour se procurer l'or qui lui faisait cruellement défaut. C'était s'exposer aux foudres ecclésiastiques pour hérésie, crime auquel s'ajoutèrent ceux de rapt, de viol et de sodomie sur la personne de jeunes adolescents. Régulièrement inculpé le 18 septembre 1440 devant le tribunal civil du duc de Bretagne pour félonie et meurtre, et devant le tribunal de l'évêque de Nantes – et non de l'Inquisition – pour hérésie, il fut condamné à mort le 25 octobre et exécuté le 26 par pendaison, ses aveux étant en parfaite concordance avec ceux de ses complices et avec les témoignages des parents des victimes, comme le prouve le dossier du procès ecclésiastique dont les pièces ont été conservées. La réhabilitation de Gilles de Rais ne se justifie donc pas.

Les archives françaises de Moscou sont depuis janvier 1994 en cours de rapatriement par route en vertu de l'accord franco-russe du 12 novembre 1992 publié au JO du 16 juillet 1993. Confisquées à l'origine par les Allemands, récupérées par les Soviétiques dans les abbayes et les châteaux de Bohême ou de Silésie, où elles avaient été mises à l'abri en 1944-1945, elles avaient finalement été conservées dans le bâtiment des Archives spéciales, à Moscou, où elles occupaient 7 kilomètres de rayonnages linéaires. Les fonds qui les constituent sont d'une importance exceptionnelle et d'une grande diversité : documentation privée des loges maçonniques du xviiie siècle à 1940 ; documents inédits concernant le mouvement monarchique français entre 1900 et 1930 ; un million de dossiers personnels établis par le 2e bureau, par la police française ou par la Sûreté nationale et éclairant, en particulier, l'histoire de la SFIO, puis de la SFIC et des ligues patriotiques de 1914 à 1942. « Un ensemble unique », selon les archivistes russes, pour éclairer l'histoire de la presse et celle des partis opposés au pouvoir en place en France durant la première moitié du xxe siècle.

Pierre Thibault