Banque : le lion blessé

« Votre banque vous doit des comptes » ou bien « Voici les mauvais résultats que tout le monde attendait. » Telle est la surprenante campagne publicitaire dans laquelle le Crédit Lyonnais investit 21 millions de francs. Pour cette vénérable banque, fondée en 1863, 9e établissement bancaire du monde, c'est le choc de la vérité qui sanctionne une année fertile en sombres rebondissements. À maintes reprises, la presse a ainsi titré sur « le scandale bancaire du siècle ».

Déficit à tiroirs

Tout commence formellement le 24 mars, quand le nouveau P-DG du Crédit Lyonnais rend public un déficit abyssal : 6,9 milliards de francs. En réalité, le désastre est bien plus grave, mais il ne sera avoué qu'au fil des mois. Dans l'immédiat, l'opinion publique s'émeut et cherche des responsables. Jean-Yves Haberer, président du Lyonnais de 1988 à 1993, est sur la sellette. En novembre 1993, le gouvernement l'avait forcé à quitter son fauteuil du boulevard des Italiens pour le « recaser » au Crédit national. Le 30 mars, le Conseil des ministres le démissionne de ce poste. Le président de la République exige la mise en place d'une commission d'enquête.

En attendant les résultats, l'État doit assumer son rôle d'actionnaire privilégié et s'engage à recapitaliser la banque à hauteur de 23,3 milliards de francs, comme le demande Jean Peyrelevade, le nouveau président du Crédit Lyonnais. Celui-ci avait en effet accepté cette nomination à la condition d'obtenir le soutien total des autorités de tutelle et après avoir mené un audit approfondi, en toute liberté.

Rapport

La polémique s'engage alors sur les raisons d'une telle catastrophe. L'État est montré du doigt par la Commission d'enquête parlementaire créée le 28 avril et qui rend son rapport le 12 juillet. La commission présidée par Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, semble avoir fait sienne l'analyse d'un dirigeant de la banque publique qui compare le Lyonnais à « un pays aux structures centrales solides ruiné dans une aventure coloniale sans issue et incapable d'en supporter les pertes ». Le rapport stigmatise l'État-actionnaire dont l'efficacité est « proche de la nullité » et souligne qu'il ne saurait être fait le moindre reproche à M. Haberer en matière de déontologie, d'honnêteté et d'honneur. L'État, et plus particulièrement la direction du Trésor, son bras armé, a laissé faire. À aucun moment, en 5 ans, il n'a freiné les ardeurs de la direction de la banque. Au contraire, les plus hautes autorités ont encouragé la politique expansionniste de la « banque-industrie » chère à Jean-Yves Haberer. Cette politique consiste à multiplier les participations industrielles afin de renforcer les liens entre les entreprises et la banque, et de donner à celle-ci une masse critique. Il est reproché au Lyonnais de s'être livré à un « dangereux mélange des genres », c'est-à-dire d'avoir cumulé prises de participation et octrois de crédits, augmentant considérablement les risques. De fait, le Crédit Lyonnais a investi dans une multitude de secteurs et d'entreprises sans connaître toujours les limites de telle ou telle activité.

Crise de l'immobilier

La crise de l'immobilier a considérablement accablé l'établissement, mais la déstabilisation de celui-ci est surtout venue de quatre filiales qui ont accumulé les mésaventures : Crédit Lyonnais Bank Nederland, Altus-Finance, IBSA et Société de banque occidentale. La commission d'enquête évalue leurs engagements douteux à un total de... 27 milliards de francs. Il s'agit là du rachat du studio hollywoodien MGM (Métro Goldwyn Mayer) en soutenant sans limites l'homme d'affaires italien Giancarlo Paretti, « proche d'amis de la Mafia italienne ». Sont également mises en cause les prises de participations tous azimuts d'Altus dans des métiers qui lui étaient totalement étrangers et sans contrôle véritable, en se liant « parfois à d'authentiques repreneurs, fréquemment à des escrocs, presque toujours à des aventuriers ». Le « cas » Tapie fait aussi couler beaucoup d'encre. Les engagements de l'homme d'affaires auprès de la SDBO s'élevaient à 1,5 milliard de francs à la fin de 1993. Jean Peyrelevade ferme tous les robinets et exige notamment de Bernard Tapie qu'il rembourse sa dette. À cette fin, la banque fait saisir les biens personnels de celui-ci (meubles, tableaux, yacht...). Le slogan « Crédit Lyonnais : le pouvoir de dire oui » est bel et bien oublié. C'est l'heure des comptes. En revanche, il n'y a que peu de règlements de compte. Hormis la révocation de Jean-Yves Haberer, personne n'a été sommé de rendre son tablier. La polémique semble s'arrêter là. Elle va rebondir très rapidement.

Bras de fer

En effet, le 19 septembre, à trois jours du conseil d'administration qui doit entériner les résultats trimestriels, Jean Peyrelevade rencontre les représentants de l'État pour leur demander 15 à 25 milliards de francs supplémentaires. À Bercy, où se trouvent les ministères de l'Économie et du Budget, on n'en revient pas. Incroyable, la déconfiture serait-elle de 50 milliards ? De quoi boucher le trou de la Sécurité sociale en 1994. Cela représenterait 2 000 francs pour chaque contribuable. Une partie de bras de fer s'engage alors entre le banquier et l'État. Le 22 septembre, M. Peyrelevade se présente devant les membres du conseil d'administration (Jean-Luc Lagardère, Alain Gomez, François Pinault, Bernard Arnault, etc.) pour... reporter la réunion. L'événement est rarissime, et grave au point de provoquer immédiatement un plongeon de 6 % du titre à la Bourse. Le ministre de l'Économie, qui est en déplacement à l'étranger, doit publier un communiqué en assurant la banque de son soutien. Le 27 septembre, le président du Crédit Lyonnais informe finalement les 17 administrateurs que l'établissement a perdu 4,5 milliards de francs rien que pour les 6 premiers mois de l'année. Il peut, dans la foulée, leur annoncer le résultat de l'épreuve de force qu'il a menée 9 jours durant avec Bercy. Il a obtenu que l'actionnaire prenne sous sa coupe les actifs « pourris » de la banque qui sont à l'origine des 15 à 25 milliards de provisions supplémentaires nécessaires. Avec les formes, cela signifie bel et bien que l'État remettra la main au portefeuille à échéance de quelques mois et que la banque va devoir vendre la plupart de ses participations industrielles, comme elle a commencé de le faire, en août, en cédant la FNAC au groupe Pinault... sans parler de la MGM ou de la dette Tapie.

Liquidation

Le 14 décembre, le tribunal de Commerce de Paris prononce la liquidation judiciaire de Bernard Tapie et de son épouse. Pour le Lyonnais, la perte se chiffre à 1 milliard de francs.

Image

À cela s'ajoute le déficit en image que subit la banque, présentée autrefois comme une « vénérable institution » et que les journaux anglo-saxons affublent aujourd'hui du sobriquet de « Débit Lyonnais ». Sans compter les fermetures de comptes décidées par des clients lassés des péripéties de leur banque.

Haberer, bouc émissaire ?

Révoqué, le 30 mars, de la présidence du Crédit national par le gouvernement. Jean-Yves Haberer dénonce une décision qu'il estime être politique et refuse d'être « le bouc émissaire » de la catastrophe du Crédit Lyonnais. Il explique, dans le Figaro du 6 avril, que, « en temps de crise, lorsque les PME déposent leur bilan, lorsque les grands groupes vivent misérablement, est-il acceptable que les banques affichent de superbes résultats ? ». L'État-actionnaire, et particulièrement le Premier ministre Pierre Bérégovoy, souhaitait ne pas priver de crédits l'industrie française en plein marasme. Enfin, Haberer souligne que son action a souffert de la crise, tout autant que d'autres banques, qui, toutes proportions gardées, ont subi des pertes parfois supérieures (Worms, Hervet). Il ajoute que dans les pays anglo-saxons le « droit à la perte » est reconnu dans les milieux financiers et que, ainsi, le patron de la Citibank a été reconduit dans ses fonctions avec un bilan affichant pourtant des pertes proportionnellement supérieures à celles du Lyonnais.

La faute de frappe la plus chère du monde

En septembre, la Bank of America a reconnu avoir perdu près de 22 millions de francs à cause d'une faute de frappe. L'erreur a été commise lors de l'adjudication par la Banque d'Italie de quelque 8,6 millions de francs d'effets à 5 ans. Un employé distrait a mal retranscrit une des citations de référence. Au lieu de taper 89,1 sur les écrans, le malheureux a inscrit 98,1 comme prix d'offre. La Banque centrale italienne a accepté ce prix erroné. Un responsable de l'agence milanaise de la Bank of America a évalué entre 20 et 24 millions de francs la perte qui a résulté de cette maladresse. Rien n'a été dit sur le sort réservé à l'employé.

Indépendance

Depuis le 1er janvier, la Banque de France est indépendante du gouvernement. La France réalise ainsi l'une des conditions exigées par le traité de Maastricht pour réaliser l'Union économique et monétaire, et créer une monnaie unique viable. La banque centrale est désormais chargée de « définir et de mettre en œuvre la politique monétaire dans le but d'assurer la stabilité des prix ». Il reste au gouvernement à déterminer le régime des changes et la parité du franc. Pour définir sa stratégie, l'institution est dotée d'un conseil de politique monétaire composé de 9 membres : le gouverneur, les 2 sous-gouverneurs et 6 personnalités (journalistes, professeurs, chefs d'entreprises.). L'instabilité que connaissent les marchés depuis février (voir la rubrique « Bourse ») n'a pas facilité la tâche des 9 sages, qui ont préféré à l'audace la discrétion et une politique des petits pas, à coups de baisse des taux limités dans le sillage de la Bundesbank.

Philippe Lecaplain