Lors d'un sondage, les musulmans déclarent ressentir une montée du racisme (66 %) et de la violence à la TV (78 %). Ils expriment, en même temps, un fort désir d'intégration : le FIS ne recueille que 9 % d'opinions favorables (22 %, toutefois, ne répondent pas) et la plupart des personnes interrogées (80 %) estiment compatibles la vie en France et le respect de « toutes les prescriptions de l'islam ». Ces musulmans ont, par ailleurs, un comportement religieux peu éloigné de celui de l'ensemble des Français : 16 % fréquentent la mosquée le vendredi, 31 % prient chaque jour, 60 % ont jeûné lors du dernier mois de ramadan.

L'inauguration, le 30 septembre, de la Grande Mosquée de Lyon, un projet qui a mis 15 ans à se réaliser, a été l'occasion de discours conciliateurs. Le grand mufti Cbirane a plaidé pour un « islam ouvert et convivial ». Le ministre de l'Intérieur et des Cultes, Charles Pasqua, a réitéré le souhait de voir se constituer un « islam de France », doté d'institutions représentatives. Cette question n'a cependant guère progressé en 1994. La Grande Mosquée de Lyon a été largement financée par l'Arabie Saoudite et le contrôle de sa gestion provoque des tensions internes. Paradoxalement, sa dimension – une capacité de 2 500 places – la rend peu attirante pour les jeunes musulmans des banlieues. Entre une telle « vitrine de l'islam » et des salles de prières souvent exiguës ou mal aménagées se pose le problème des lieux de culte musulmans en France.

L'évolution de la laïcité

En France, le libre exercice des cultes repose sur la laïcité. Principe constitutionnel depuis 1946, celle-ci permet, en général, une coexistence pacifique, mais son application s'avère délicate dans le domaine scolaire. Un projet de révision de la loi Falloux (1850) aurait permis d'instaurer une parité dans les subventions publiques d'investissement entre écoles publiques et écoles privées sous contrat. Le 16 janvier, au nom de la laïcité, a eu lieu une grande manifestation de protestations contre ce projet. Le Conseil constitutionnel venait d'ailleurs d'annuler cette proposition tout en admettant le principe même des subventions. Ainsi, juridiquement, la laïcité autorise le financement public d'écoles privées sans permettre une égalité qui ne correspondrait pas à la différence des cahiers des charges respectifs.

Autre sujet « chaud » de la laïcité scolaire : le port du foulard. Une circulaire du ministre de l'Éducation nationale le vise indirectement en refusant les « signes ostentatoires » à l'école. Cette directive n'a pas mis fin au problème. De nombreux enseignants considèrent le foulard comme une forme de discrimination sexuelle. Certains musulmans voient une stigmatisation de leur religion dans la différence faite entre le foulard et d'autres signes religieux, considérés comme plus discrets. Pour des groupes de pression islamistes, le foulard peut constituer un moyen d'imposer leurs vues. Pour les jeunes filles qui le portent, il peut signifier une phase mystique, une quête d'identité, une demande de reconnaissance. Ainsi, la complexité du problème rend difficile toute solution globale, et plusieurs établissements hésitent entre l'épreuve de force et le compromis.

Le judaïsme et son environnement

La relation à la laïcité a également constitué un des enjeux du débat interne de la communauté juive de France. Le grand rabbin de France, Joseph Sitruk, a demandé aux juifs de ne pas aller voter aux élections cantonales du 27 mars, premier jour de la Pâque juive, provoquant ainsi des réactions plus ou moins vives. Trois mois plus tard, sa réélection par le consistoire central ne s'est pas effectuée dans un climat consensuel : le grand rabbin n'a recueilli que 121 voix, contre 75 à Gilles Bernheim, un aumônier universitaire. Au-delà d'un différend théologique – certains reprochent à M. Sitruk des sympathies trop vives pour le judaïsme orthodoxe –, cette crise est révélatrice des problèmes liés aux transformations de la communauté juive : désir d'un judaïsme plus « visible », croissance des écoles juives, regain d'intérêt pour les journées d'études de la Torah, sans perdre les acquis d'une intégration réussie à la République.